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Bassiaka Dao, président de la Confédération paysanne du Faso

Publié le 1er juin 2014

Bassiaka Dao est agriculteur dans la région de Bobo Dioulasso et président de la Confédération Paysanne du Faso (CPF). Nous l’avons interrogé lors de l’atelier de mise en œuvre d’un dispositif de veille et de renforcement des performances des exploitations familiales organisé à Mbodiène au Sénégal en septembre 2011. Il est revenu au cours de cet atelier sur l’expérience de la CPF dans le processus de préparation de la loi de sécurisation foncière au Burkina Faso et revient plus en détail pour nous sur la méthodologie adoptée par la CPF dans ce processus et sur les principaux enseignements qu’elle en a tirés.

1. Pourriez-vous nous présenter dans un premier temps quelle était la situation du foncier au Burkina Faso avant la promulgation de la loi de sécurisation foncière de 2009 ?

La situation du foncier au Burkina Faso porte l’héritage de l’époque coloniale, puisque le Burkina Faso comme les autres pays de l’Afrique n’ont pas échappé à la règle de la colonisation. Ce sont donc les différents mécanismes qui ont été mis en place à cette époque qui ont posé les bases en matière de gestion de terroirs et des Nations. Après les indépendances, nous avons hérité de ce que le colonisateur avait laissé. C’est ensuite avec le régime révolutionnaire de 1984, qu’a été décidé effectivement de nationaliser les terres. A partir de ce moment, nous avons élaboré la réforme agraire et foncière (RAF) au Burkina Faso.

Cette réforme agraire est restée muette sur la gestion du foncier rural. Elle ne concerne que le foncier urbain. Ce qui a rendu très difficile son application sur les terres rurales. Il y a eu une première relecture qui n’a abouti à rien et une deuxième relecture qui, elle aussi, n’a abouti à rien. L’économie du Burkina repose essentiellement sur l’agriculture et l’élevage. Si on en veut faire de l’agriculture le socle de notre économie, il faut arriver effectivement à sécuriser les exploitants sur leurs terres. Dans la réforme agraire et foncière (RAF), il est bien précisé que les terres appartiennent exclusivement à l’Etat et tous les petits fermiers que nous sommes n’avaient pas droit sur cette terre. Or ce sont ces petits fermiers qui sont le socle de l’économie. C’est au vu de cette situation que les gouvernements en place a décidé de faire de l’agriculture le moteur du développement et de la croissance économique. Pour ce faire, il faut arriver à sécuriser l’ensemble des acteurs sur leurs terroirs. A partir de ce moment, cette sécurisation va consister à donner à chaque acteur un titre de jouissance (certificat de possession foncière, titre foncier) qui lui permettrait effectivement de mettre en valeur ces terres, en termes d’entretien, de gestion de la fertilité des terres et autres.

Voila comment le processus a été lancé. En 2006, lors d’une Journée du paysan, les organisations paysannes sont encore revenues sur cette question foncière. C’est ce qui a motivé effectivement le gouvernement à se lancer dans un processus d’élaboration d’une politique de sécurisation foncière en milieu rural. Pour ce faire, la mission a été confiée à un bureau d’études qui a mis en place un comité national de sécurisation foncière en milieu rural. Dans ces comités, ils ont tenus à intégrer toutes les catégories d’acteurs. C’est ainsi qu’au sein de ce comité, la CPF était représentée par un homme et une femme qui devaient à chaque moment porter nos préoccupations. Pour que nos représentants puissent jouer pleinement leur rôle, nous avons mis en place un comité de réflexion. Ce comité s’est fixé des missions. Une des missions c’est de faire un inventaire de toutes les politiques agricoles sectorielles existantes pour connaître les atouts et les limites (insuffisances). Nous avons ensuite entrepris de faire des sorties sur le terrain en zones rurales sur les terres non aménagées pour voir comment se faisait l’acquisition des terres, quels étaient les mécanismes mis en place (prêts, location, dons), quelle a été les réactions après les indépendances, comment les gens ont continué à gérer leurs terroirs. Tout cela nous a apporté de nombreux enseignements.

Des terres rurales non aménagés, nous en sommes venus aux terres aménagées par l’Etat. Nous avons analysé les dispositifs qui ont été mis à ce niveau. Ensuite, nous avons pu en tirer des leçons, avant de partager ces résultats lors d’ateliers auprès de tous les acteurs intéressés par la réforme. Ce que nous avons appris des chefs de terres, des décideurs politiques, des religieux, des femmes et des jeunes (bref, de tous ceux qui s’occupent de la question foncière), nous ont fortifiés. A partir de ce moment, nous nous sommes dit que si nous devons réellement participer il faut que nous puissions avoir un appui technique qui maîtrise les textes juridiques et institutionnels. Pour cela, nous avons noué un partenariat avec le Groupe de Recherche et d’Action sur le Foncier (GRAF) pour qu’ils nous accompagnent dans cette réflexion. C’est ainsi au-delà de toutes ces sorties sur le terrain et des analyses faites, que nous avons pu mettre en place un comité qui a travaillé à dégager quelques grandes orientations.

Un de nos constats a été que nous avons remarqué effectivement qu’il n’y avait pas de respect de principes comme celui que la terre appartient au premier habitant. Nous avons réfléchi et avons commencé à identifier nos principaux points de préoccupations, avec comme grande ligne celle que l’Etat ne doit plus être le seul propriétaire des terres. Deuxièmement, il faut qu’on arrive à morceler les territoires en respectant les spécificités régionales. Nous avons dit qu’il fallait aussi prendre en compte les femmes, les jeunes et les migrants qui rencontrent des problèmes d’accès à la terre. Quelles dispositions pourrions-nous donc prendre ?

Ces réflexions nous ont conduits avec l’appui du GRAF à sortir un premier document que nous avons partagé avec l’ensemble des acteurs à la base, que se soient les chefs coutumiers, les femmes ou les jeunes. Au même moment, la commission nationale a élaboré un premier draft qui a été soumis au gouvernement pour concertation avec l’ensemble des autres acteurs. Au vu de cette situation, nous avons eu un appui avec notre partenaire AFDI (Agriculteurs Français et Développement International) et la famille OXFAM pour organiser des ateliers régionaux. Pour que toutes les catégories d’acteurs puissent participer à cette concertation. C’est ainsi que nous avons organisé 13 ateliers régionaux, dans chacune des régions du Burkina Faso et participé aux ateliers régionaux multi-acteurs organisés par le gouvernement. Ces ateliers nous ont permis de réaliser un consensus sur notre document et en même temps de choisir nos représentants aux ateliers multi-acteurs avec le gouvernement.

En prélude de chaque atelier gouvernemental, nous avons ainsi tenu des rencontres pour travailler avec nos membres et leur donner les points de convergence et de non convergence, les orientations directrices par rapport au document proposé par le gouvernement. Nos représentants partaient donc à la négociation avec des documents, des argumentaires. Voila comment nous avons pu effectivement insérer nos points de vue à travers les 40 personnes/atelier, soit 520 personnes membres de la CPF ayant participé aux ateliers gouvernementaux : hommes, femmes, jeunes qui portaient tous les préoccupations consignées dans notre document de synthèse.

2. Aujourd’hui quels enseignements principaux tirez-vous de cette expérience par rapport aux autres combats qui sont menés par la CPF sur les politiques agricoles d’une manière générale ?
Le premier enseignement tiré est la nécessité de s’unir : l’union fait la force et quand vous avez un cadre de concertation représentatif ayant une vision, vous arrivez effectivement à influencer un certain nombre de politiques. Nous pensons que la participation de la CPF à ce processus d’élaboration de la politique a été assez positif parce qu’on s’est entouré de toutes les garanties, même si certains aspects posent encore problème.
Nous avons dit effectivement, lors de l’élaboration de la politique, que quelqu’un qui pendant 30 ans a mis en valeur une terre à des fins de production sans conflit doit pouvoir être considéré comme propriétaire de ce lopin de terre. Dans la reformulation de la loi (article 36, alinéa 2), les législateurs n’ont pas pris en compte cet aspect. Les gens se sont posés la question de savoir de quelle manière ces terres ont étés octroyées. Voila un exemple de remise en cause que nous avons voulu éviter, sachant que ces terres ont été données au moment où ceux qui parlent de propriété foncière (leurs grands-pères n’étaient pas nés). Durant les grandes guerres, les peuples se sont beaucoup déplacés, il y a même certains migrants qui sont installés sur leurs terres depuis 50 ou 100 ans. Si on veut aujourd’hui reprendre ces terres sous prétexte qu’elles ont été prêtées à leurs ancêtres, où iront ces populations ? Cela pose un vrai problème. En termes de difficultés, nous avons dit par rapport à l’agrobusiness, il faut qu’il y ait une limitation de superficie qui devrait être une conditionnalité, en plus du délai de mise en valeur qui n’est pas pris en compte aujourd’hui. On ne peut pas permettre à quelqu’un d’aller prendre 500, 600, 1000, 2000 ha et ne pas pouvoir les mettre en valeur. Tout ce que nous constatons aujourd’hui, c’est l’arrivée de nouveaux acteurs qui s’accaparent des terres, mais qui en réalité ne les mettent pas en valeur.
Nous avons aussi tiré des enseignements en termes de délais de publication. La terre étant le support de toute activité humaine, elle n’appartient pas à un individu, mais à un groupe d’individus. Donc il faut que le temps de publication soit assez long et qu’on mette en place des dispositifs efficaces pour éviter les conflits.

Voila un peu les enseignements tirés mais le grand succès de cette loi est la reconnaissance que l’Etat n’est pas le seul propriétaire des terres, puisqu’on a divisé le foncier rural en 3 catégories :

  • le domaine foncier de l’Etat, qui concerne les grands aménagements hydroagricoles aménagés sur fonds propres, les routes, les cours d’eau, les forêts classées, les zones de reproduction connues, les zones de pâturages ;
  • le domaine rétrocédé aux collectivités décentralisées ; et
  • le reste appartient aux privés qui peuvent disposer de certificats de possession foncière (donnés à moindre coût, c’est-à-dire au prix symbolique d’un timbre communal) et qui peuvent ensuite évoluer en titres fonciers.

A partir de cette possession, les privés ont maintenant la latitude d’investir sur leurs terrains et de les sécuriser. En cas de problème, l’Etat à l’obligation de discuter d’égal à égal et de les dédommager en cas de préjudice. Voila des points sur lesquels nous avons beaucoup gagné. En ce qui concerne l’aménagement des périmètres hydro agricoles, la question du genre a été beaucoup agitée et nous avons pu obtenir l’instauration d’un quota. Si l’Etat arrive à aménager un périmètre, 30% des superficies sont attribuées aux femmes, 30% aux jeunes et les 40% restants à toutes les autres catégories d’acteurs. Voici des points sur lesquels nous avons obtenu des résultats satisfaisants.

On s’est aussi dit que la veille devait continuer puisse qu’une loi évolue et présente des insuffisances à certains niveaux (tels les problèmes soulevés par l’article 36 alinéa 2). Quelqu’un qui est resté 30 ans sur une parcelle doit pour nous être considéré comme propriétaire des terres, mais aujourd’hui il y a une remise en cause de ce fait par le législateur. Au dernier comité de pilotage sur le foncier où je siège, nous sommes revenus sur cette question : que se soient les chefs traditionnels, que se soient les responsables religieux ou les femmes, chacun a fait le constat que cet article 36, alinéa 2 est une remise en cause du principe de la loi. A partir de ce moment, les décideurs ont dit qu’il fallait qu’on organise un atelier pour clarifier cette situation. 

Nous avons décliné cette proposition parce que pour nous, une loi a le pouvoir d’interdire ou bien d’autoriser, donc quelqu’un qui a cultivé 30 ans sur une parcelle, est propriétaire de cette parcelle. S’il n’a qu’un quart d’hectare, il en est le propriétaire. S’il n’a que deux hectares, il en est le propriétaire. Un migrant ne peut pas avoir 50, 100, 200 ou 300 hectares. Si c’est le cas, cela veut dire qu’il est totalement intégré dans ce village et qu’il n’a nulle part où aller. Si vous vivez avec quelqu’un pendant 30 ans, il y a forcément des relations de sang qui naissent. Or la majeure partie de ces migrants, lors des grandes mutations, se sont déplacés et ont vécu plus de 100 ans dans d’autres villages.

Où pourraient-ils aller aujourd’hui ?

Voilà les difficultés et les succès auxquels nous avons abouti, mais nous nous sommes dit que nous continuons la veille. Nous avons tenu à rencontrer l’Assemblée nationale pour relever un certain nombre d’insuffisances telles que celles liées à cet article 36, ainsi que la limitation des superficies et l’obligation de mise en valeur qui n’apparaissaient pas dans la loi. Dans les communes urbaines quand vous recevez une parcelle, vous avez 3 ans de délai pour mettre en valeur votre parcelle. C’est au-delà de ce délai que si rien n’est fait, l’Etat retire la parcelle. Si on doit attribuer 500 000 ha à quelqu’un qui pendant 10 ans n’arrive pas à les mettre en valeur, alors que de plus en plus la pression démographique s’accentue, on ne peut pas laisser ces terres vagues. S’il n’y a pas de mise en valeur, la situation peut dégénérer en conflit. Les habitants du terroir défavorisés ne vont pas accepter que ces terres soient confisqués par un dignitaire et ils sont en droit de les défricher vaille que vaille au risque de créer un conflit.
Voilà un certain nombre d’enseignements que nous avons eu à tirer et à partager avec l’ensemble de nos collègues des plateformes paysannes venues à cet atelier. Nous avons présenté notre processus de préparation et la méthodologie que nous avons utilisée pour être effectivement bien outillés pour formuler des propositions de réforme foncière.