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Eric Hazard, responsable de campagne pour Oxfam International

Publié le 1er juin 2014

Eric Hazard est agro économiste et a travaillé pour l’ONG Enda Tiers Monde durant 7 années, avant de rejoindre Oxfam International en tant que coordonnateur régional de campagne. Il est aujourd’hui responsable de la Campagne CULTIVONS en Afrique de l’Ouest, qui est la campagne publique qu’Oxfam vient de lancer le 1er juin dernier dans 45 pays à travers le monde.

1. Oxfam vient de lancer une nouvelle campagne « Cultivons » autour de la défense du principe de Justice alimentaire. Sur quel diagnostic de la situation mondiale repose cette campagne ?

CULTIVONS est la nouvelle campagne d’Oxfam qui préconise de meilleures méthodes pour cultiver, partager et vivre ensemble. Une campagne pour que les milliards de personnes (hommes et femmes) qui produisent et se nourrissent de la production agricole trouvent ensemble des solutions pour un avenir meilleur dans lequel chacun mange toujours à sa faim.
Il y aura bientôt 9 milliards d’habitants sur notre planète. Nous sommes tous dans le même bateau. Nos sociétés doivent produire pour subvenir à nos besoins. Mais produire comme avant n’est pas la réponse. Nous savons que presque un milliard de personnes se couchent chaque soir la faim au ventre, non pas à cause des pénuries alimentaires, mais en raison d’importants déséquilibres en matière d’accès et de contrôle des ressources. On peut se demander s’il est normal, voire décent, que 40% de la production américaine de maïs finisse dans des moteurs plutôt que dans des estomacs, lorsque la faim peine à reculer ?

Plus fondamentalement, les avancées péniblement acquises pendant presqu’un siècle sont en train d’être annihilées. Nous rentrons dans une nouvelle ère de crise, de climat extrême, d’envolées des prix et de baisse de production qui, si nous n’y prêtons pas suffisamment attention, risque de faire tomber beaucoup plus de gens dans la famine. Dans les pays en voie de développement où parfois 80% des revenus des ménages sont consacrés à la nourriture, une hausse des prix des produits de première nécessité oblige le plus souvent les familles à réduire leur nombre de repas ou la quantité de nourriture lors de ces repas.
Nous nous trouvons à un tournant. Le système organisé par des intérêts particuliers a trahi nos attentes. A titre d’exemple, on estime que trois sociétés agroalimentaires (Cargill, Bunge et ADM) contrôlent à elles seules près de 90% du commerce des céréales dans le monde. Est-ce vraiment en avançant vers des concentrations massives dans des secteurs clés comme la commercialisation des céréales (qui est consommée au quotidien par des milliards d’individus) que nous allons régler nos problèmes ?

Pour subvenir aux besoins de l’humanité et alléger les pressions qui s’exercent sur la planète, nous devons produire plus équitablement et durablement, en préférant la coopération à la division. Un petit groupe de puissants, entre autres les élites politiciennes et économiques, soutiennent que la solution reste la même. Encore plus d’agriculture industrielle, contrôlée par quelques grandes corporations, exploitant toujours plus de ressources. Les terres confisquées pour des intérêts commerciaux qui exproprient les hommes et les femmes vivant dans la pauvreté, alors que dans le même temps, 80% des derniers investissements fonciers restent inexploités. Mais, on ne peut plus continuer dans cette voie, avec des solutions erronées qui n’ont profité qu’à une poignée de gens.
Nous pensons que de nombreuses autres solutions plus viables pour l’avenir et qui bénéficient à tous sont possibles. Des solutions comme la riziculture durable qui est en train d’être adoptée dans toute l’Asie et qui aide les petits exploitants à produire plus avec moins. La campagne Faim Zéro qui a montré qu’elle améliorait l’équité et réduisait d’un tiers le nombre de personnes sous-alimentées au Brésil. Une richesse d’innovations dans la croissance verte partout dans le monde. En 2009, les investissements mondiaux consacrés aux technologies renouvelables ont, pour la première fois, dépassé les dépenses engagées dans les carburants fossiles.
Une nouvelle prospérité est possible, mais elle nécessite de repenser les modes de consommation, de production, mais aussi et surtout de répartition actuelle.

2. Quels sont les principaux axes de plaidoyer de cette campagne ?
Nous nous engageons sur trois axes majeurs :

 Il faut bâtir une nouvelle gouvernance mondiale pour prévenir les crises alimentaires

La priorité absolue des États doit être de lutter contre la faim et de réduire la vulnérabilité. Ils doivent renforcer la résilience en créant des emplois, en s’adaptant au changement climatique, en investissant dans la réduction des risques de catastrophes et en étendant la protection sociale. Mais il importe aussi de contrôler le commerce pour gérer les risques en bâtissant un système de réserves alimentaires, en renforçant la transparence sur les marchés des denrées, qui ces dernières années ont joué un rôle négatif dans les crises que nous avons connues

 Parallèlement, nous devons bâtir un nouvel avenir pour l’agriculture

Si les pays donateurs et les organisations internationales doivent continuer d’augmenter la part des dépenses agricoles dans l’APD et d’investir dans l’adaptation des pratiques agricoles, l’important déséquilibre de l’investissement public dans l’agriculture doit être rectifié. Les milliards actuellement dépensés dans les exploitations industrielles non durables des pays riches doivent être réaffectés pour répondre aux besoins des petits producteurs des pays en développement. En Afrique, les engagements des Etats à dédier au moins 10% de leur budget au secteur agricole, doivent être transformés en actes concrets. Il n’est pas normal que depuis 2003, moins de dix pays aient pu y parvenir.

 Finalement il faudra bâtir un nouvel avenir écologique

Alors que la course vers un avenir durable est lancée, les opportunités sont énormes pour ceux qui y parviendront le plus rapidement. Les États doivent donc intervenir pour accélérer et guider la transition : ils doivent investir dans des biens publics comme la Recherche/Développement dans le domaine des énergies renouvelables. Ils doivent mettre en place des mesures incitatives par le biais de subventions ou de crédits d’impôts pour orienter les capitaux privés vers les secteurs requis. Mais ils doivent aussi jouer leur rôle de régulateur et taxer les éléments indésirables (comme les émissions de gaz à effet de serre) pour orienter l’activité économique vers des alternatives favorables et empêcher les entreprises de polluer.

3. Comment Oxfam compte mettre en œuvre cette campagne en Afrique de l’Ouest ? Quelles vont en être les premières étapes ?

Cette campagne a été lancée le 1er juin dernier dans 3 pays, le Nigeria, le Ghana et le Burkina Faso, mais aussi au niveau régional – il semble effectivement difficile de concevoir l’avenir de notre région, sans réfléchir à son intégration économique, politique et sociale. Avec de nombreuses organisations partenaires dont l’IPAR, nous avons retenu de travailler sur trois axes majeurs, qui répondent aux enjeux de la région.

 Investir dans la productivité et la résilience des petits producteurs alimentaires pour disposer de vraies politiques agricoles et de sécurité alimentaire qui tentent de satisfaire d’abord le marché régional et les besoins de ses populations ;
 Travailler à anticiper et prévenir les crises alimentaires en investissant dans des politiques de protection sociale ou encore des mécanismes de systèmes d’alerte qui intègrent les enjeux liées à la volatilité des prix. 
 S’assurer que l’accès aux moyens de production demeure garanti pour les petits producteurs, et notamment les femmes, en luttant notamment contre l’accaparement des terres et de l’eau.
 Cette campagne sera mise en œuvre à travers des partenariats avec les Organisations de producteurs, de consommateurs, de pasteurs, d’éleveurs, mais aussi de femmes qui travaillent sur ces thématiques en Afrique de l’Ouest. L’ampleur du défi est sans précédent, tout comme la récompense si celui-ci est relevé : la création d’un avenir durable où personne n’aura faim.

Pour en savoir plus, voir le site de [ Oxfam International->http://www.oxfam.org/fr ]