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L’Agriculture et le monde rural à l’épreuve du CORONAVIRUS !

Publié le 4 mai 2020

A l’évidence, le monde rural, qui respire par son agriculture au sens large, est touché au poumon et devient un « cas contact » qu’il convient de suivre de très près par les acteurs du secteur, car les perspectives ne sont guère rassurantes. On annonce une mévente record de 30 000 tonnes d’anacarde et un manque à gagner de 50 milliards pour les producteurs casamançais qui ne voient pas l’ombre des acheteurs indiens en ce début de campagne.

Le désastre sera d’autant plus grand que la campagne précédente était chahutée par une chute drastique des prix aux producteurs, due à une surproduction au niveau mondial. Le collectif des intermédiaires, dont c’était le métier principal, exprime son désarroi devant les magasins vides construits par ses membres dans les villages, alors que leurs partenaires commerciaux indiens et mauritaniens, confinés chez eux, ne donnent pas signe de vie. Le port de Ziguinchor qui vivait son pic d’activités avec la campagne de l’anacarde, prévoit une baisse importante de son chiffre d’affaires. C’est toute une filière, à l’entame de son envol, qui prend du plomb dans l’aile avec ce Covid-19, qui n’épargnera même pas la mangue, pour les mêmes raisons de manque d’acheteurs. Les deux mamelles principales de l’économie agricole sont ainsi « infectées » dans cette région, qui présente déjà des comorbidités lourdes liées aux effets des changements climatiques, à la salinisation des terres, la baisse de la fertilité et de la productivité des sols, au sous-équipement des exploitations agricoles, etc.

L’application stricte des mesures barrières pour freiner la propagation du pathogène a abouti à une fermeture immédiate des marchés hebdomadaires ruraux sur l’étendue du territoire. Les paysans sont ainsi privés de leurs débouchés commerciaux au premier niveau où ils réalisent leurs affaires et écoulent leurs produits d’élevage et de contresaison pour subvenir à leurs besoins monétaires et alimentaires. Dans plus de 80% des cas les ménages agricoles épuisent leurs stocks vivriers six mois après récoltes et dépendent, pour le reste de l’année, de ces marchés pour s’acheter de la nourriture. S’y ajoute, et aggrave la situation, l’arrêt des envois d’argent par les ressortissants des exploitations agricoles travaillant dans d’autres secteurs (urbains et pêche) également touchés par la crise. Dans certains cas ces transferts migratoires peuvent représenter jusqu’à 90% des revenus familiaux en milieu rural.

Les restrictions imposées dans les transports intérieurs et extérieurs ont perturbé le fonctionnement des chaines logistiques (approvisionnements, livraisons) qui impliquent les exploitations agricoles. Et même si la campagne agricole qui s’achève a pu échapper de justesse aux méfaits de la pandémie, celle qui démarre (2020-2021) pourrait être compromise par des lenteurs ou blocages dans la mise à disposition des intrants et matériels agricoles. Si la vague actuelle de contamination de l’épidémie qui progresse gagne le monde rural, déjà exposé en période de soudure, la morbidité provoquée dans la main-d’œuvre familiale entrainera une chute drastique des rendements et exposera le pays tout entier à une crise alimentaire sévère.


L’aide alimentaire distribuée à grande échelle aux populations dans le cadre de « Force Covid-19 » pourra certes amortir le choc du quasi confinement pour les paysans, mais son effet sera fort limité si la crise venait à durer au-delà du mois de juin. Les départements ministériels (agriculture, environnement, élevage et pêche) en charge du secteur ont enclenché une riposte ciblée sur les impacts spécifiques à l’économie rurale. Le Ministère de l’Agriculture et de l’Equipement Rural (MAER) prévoit de doubler le budget de la campagne à venir (120 milliards), pour booster les productions agricoles et endiguer les menaces de famine que fait peser l’épidémie. L’accent est mis sur les céréales locales (riz, mil, maïs) avec une production attendue de 4 millions de tonnes contre 2,8 millions l’année précédente ; soit une hausse de 1,2 millions de tonnes (43%). La production de riz est attendue à 1,7 millions de tonnes de paddy en fin 2020 dont 68% de pluviale, contre 1,1 millions de tonnes en 2019 soit 54,5% de hausse.

L’inquiétude est grande, la détermination est forte pour stopper la progression de la maladie, atténuer ses impacts sur l’agriculture et réduire les risques alimentaires qui pointent à l’horizon. Toutefois cette mobilisation générale ne précise pas les indications attendues sur l’après-Covid-19, alors que l’opinion est acquise à l’idée que « rien ne devra plus être comme avant », et que beaucoup de secteurs se préparent à des changements techniques et sociétaux, pour accroitre leur résilience aux chocs exogènes. Le Chef de l’État lui-même a lâché l’expression d’un « autre ordre mondial plus centré sur l’humain », et sonné le tocsin d’une annulation de la dette des pays pauvres, afin de créer les conditions favorables pour « un nouveau départ », après la pandémie.

L’annonce d’une réactivation du Programme gouvernemental d’Autosuffisance en Riz, pour libérer le pays de la dépendance alimentaire, suscite le réalisme chez les acteurs dans la mesure où ces politiques de substitution aux importations (riz, lait, blé, etc.) ont toutes connu des réussites mitigées par le passé.

En tout état de cause, l’agriculture devra s’interroger sur ses difficultés persistantes à faire face à ses missions essentielles de nourrir les populations, créer des emplois et des revenus décents pour les jeunes, fournir un cadre de vie propice en milieu rural. L’Initiative Prospective Agricole et Rurale (IPAR), une structure de recherche, et le Conseil National de Concertation et Coopération des Ruraux (CNCR), une organisation paysanne faitière, construisent un partenariat autour du suivi des exploitations familiales rurales pour produire de la connaissance et informer les décisions publiques, afin que celles-ci retrouvent le point aveugle des politiques agricoles. Une nouvelle ère !

Abdourahmane FAYE
Ingénieur Agronome
Expert Formation et Emploi à l’IPAR.

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