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Note de synthèse n°3 : Propositions de la commission nationale de réforme de la terre

Publié le 9 juin 2014

La Commission Nationale chargée de préparer une réforme du droit de la Terre a été installée le 23 novembre 2005 par le Président de la République. Dans le cadre de sa mission, elle a produit le Document n° 3 intitulé « Quelques Propositions de Réforme sur la Gestion Foncière en Milieu Rural ».
Contenu des propositions émises dans les documents de travail de la Commission

Ce document propose d’importantes évolutions en matière de règles de gestion foncière :

  • création de vastes zones d’investissements intensifs pour faciliter l’accès à la terre aux détenteurs de capitaux. Ces zones seraient constituées des meilleures terres des zones pionnières et des zones de terroir, mais leur gestion ne serait plus assurée par les communautés rurales ;
  • immatriculation de ces terres dans le domaine privé de l’Etat afin de simplifier les procédures et de répondre en temps réel aux demandes des investisseurs privés ;
  • concession aux gros investisseurs de droits réels : baux ordinaires ou emphytéotiques et droits de superficie ou vente de terrains domaniaux à usage industriel ou commercial.

Le document propose aussi une évolution des conditions d’exercice des prérogatives des communautés rurales sur les zones de terroir, notamment :

  • révision de la définition de « résident » qui devrait concerner « toute personne de nationalité sénégalaise, dès lors qu’elle décide de s’installer dans les limites géographiques de la communauté rurale, en y possédant ou non son habitat principal » ;
  • révision de la notion de « capacité de mise en valeur » : celle-ci fait référence désormais au recours à des « moyens modernes, donc financiers » ;
  • mise en place de mesures contraignantes en matière de désaffectation : renforcement des contrôles, intégration de dispositions répressives ;
  • renforcement institutionnel des conseils ruraux : institution d’un cadastre rural, amélioration de la tenue des registres fonciers, gestion et prévention des conflits, formation des conseillers ruraux en matière de décentralisation et de gestion locale.

Analyse de la pertinence et de la cohérence de ces propositions

L’analyse approfondie du document permet de mettre en exergue la vision qui sous-tend les propositions formulées et de démonter que ces propositions entrent en contradiction avec la LOASP et la politique de décentralisation. On retiendra de l’analyse critique du document les éléments suivants :

Des postulats en faveur de l’agriculture commerciale et de la privatisation des terres. Le document présente un portrait déformé des exploitations familiales comme socle de l’argumentaire pour justifier l’option en faveur de la promotion de l’agriculture d’entreprise. L’agriculture familiale, d’après les auteurs, « n’a pas forcément besoin de droits [fonciers] réels pour sa performance ».

Un exposé des motifs qui ne retient des textes de référence que les aspects justifiant l’option en faveur de la privatisation des terres. Les auteurs analysent trois documents à savoir la LOASP, le discours du Président de la République lors de la rentrée solennelle des cours et tribunaux (25.01.2005) et le Plan d’Action Foncier (1996), mais ne retiennent des objectifs de la réforme analysés dans ces documents que ceux qui portent sur « la sécurisation des investissements et la facilitation de l’accès au crédit ».

La privatisation de la terre au profit de l’Etat présentée comme la solution qui garantirait une gestion foncière équitable et prudente. Les auteurs préconisent « une privatisation au profit de l’Etat de certaines dépendances du domaine national ». Cette solution est jugée la plus adaptée car une privatisation directe au profit de particuliers risquerait d’entraîner des « conflits inimaginables qui peuvent affecter la stabilité de l’Etat ». De même, une privatisation au profit des communautés rurales n’est pas souhaitable, compte tenu des problèmes de gouvernance observés au niveau des conseils ruraux (double affectation de parcelles, vente illicite de terres, absence de désaffectation, etc.)

Les béquilles de la privatisation de la terre au profit de l’Etat : l’immatriculation des zones pionnières et la création de zones d’investissements intensifs. Le projet de réforme préconise de généraliser l’immatriculation des terres, notamment en ce qui concerne les zones urbaines, pionnières et une partie des zones de terroir. Ces zones pourraient ainsi devenir de vastes zones d’investissements intensifs pour faciliter l’intervention des détenteurs de capitaux qui désirent réaliser des investissements dans le secteur agricole. « Il s’agit pour l’Etat de cibler tous les sites devant recevoir les grandes exploitations et aménagements hydro-agricoles et pastoraux à l’intérieur de chaque communauté rurale ».

Un cadrage réglementaire des conditions d’affectation des terres qui pénalise les exploitations familiales. Le projet prévoit un réajustement des principaux critères qui déterminent l’affectation des terres et notamment la notion de résident, qui pourrait concerner « toute personne de nationalité sénégalaise, dès lors qu’elle décide de s’installer dans les limites géographiques de la communauté rurale, en y possédant ou non son habitat principal ». La notion de capacité de mise en valeur devra désormais être appréciée en fonction du « recours à des moyens modernes, donc financiers » ; ce qui semble exclure l’agriculture familiale.

Une panoplie d’outils au service des communautés rurales transformées en de simples coquilles vides. Le projet prévoit aussi de doter les communautés rurales de nouveaux outils et de moyens pour renforcer leurs capacités. Mais si les meilleures terres sont retirées des zones de terroir, y aura-t-il besoin de tous ces outils pour gérer les terres les moins fertiles qui seront concédées aux exploitations familiales ?

Le document de la Commission n’est rien d’autre que la reprise des propositions initiales de la LOA. Le projet de LOA avait préconisé la création d’une Agence de l’Espace Agricole (AEA) qui devait prélever les terres du domaine national (après consultation des communautés rurales) pour les céder à des exploitations agricoles commerciales et industrielles sur la base de contrats d’une durée de quinze à cinquante ans. Ces propositions avaient suscité de vives contestations de la part des organisations paysannes, des élus locaux et des bailleurs de fonds ; ce qui avait conduit à retirer le chapitre sur le foncier du projet de loi.

Une proposition de réforme en contradiction avec les principes définis dans la LOASP et avec la politique de décentralisation Les propositions de la Commission Nationale de Réforme du Droit de la Terre, notamment l’incorporation des terres des zones urbaines, des zones pionnières et d’une partie de la zone des terroirs dans le domaine privé de l’Etat est en contradiction flagrante avec les principes dégagés dans la loi d’orientation agro-sylvo-pastorale de 2004. Elle constitue notamment une atteinte grave à la sécurisation des communautés locales. De plus, elle est en net déphasage avec la politique d’approfondissement de la décentralisation et de responsabilisation des acteurs à la base, en remettant en cause les compétences des communautés rurales en matière de gestion des terres les plus productives.

Un projet toujours d’actualité ? Bien que les propositions élaborées par la Commission en 2008 n’aient jamais été officiellement communiquées à l’opinion publique, la vision qu’elles expriment semble bien refléter la position actuelle de l’Etat. Ainsi, lors du Conseil Présidentiel sur l’investissement tenu en juin 2010 à Dakar, il a été fait référence à la création d’une « Structure chargée de l’aménagement foncier et de l’équipement rural », afin de favoriser et de sécuriser les investissements privés dédiés au secteur rural.