Think tank sur les politiques publiques dans le secteur agricole et rural en Afrique de l’Ouest

Accueil / Actualités / L’IPAR dans la presse / Réforme foncière : les universitaires s’engagent

Réforme foncière : les universitaires s’engagent

Publié le 15 juillet 2015

La communauté universitaire s’engage à accompagner la réforme foncière. Une rencontre de haut niveau organisée dans le cadre de la Journée de la renaissance scientifique africaine sous l’égide de l’Académie Nationale des Sciences du Sénégal (ANSTS) en partenariat avec le Think Tank Initiative Prospective Agricole et Rurale (IPAR) a permis de faire une lecture critique du processus de mise en œuvre de la Commission Nationale de Réforme Foncière présidée par le professeur Moustapha Sourang.

L’incongruité d’une réforme foncière sans le regard critique des universitaires a été levée le mardi 30 juin lors de la Journée de la renaissance scientifique de l’Afrique célébrée au Sénégal cette année sous le thème du foncier : « État des lieux et perspectives pour la modernisation de l’agriculture. » Le monde scientifique a donné ses observations sur la manière dont est conduit le processus et émis des critiques objectives concernant certaines propositions. Cet échange de haut niveau entre panélistes, un public préoccupé par le foncier et le professeur Moustapha Sourang, fut riche en enseignements. La participation de l’ensemble des acteurs au processus a toujours été le maître mot du président de la Commission nationale de réforme foncière (CNRF) qui a indiqué aux universitaires à l’issue de la rencontre : « désormais la balle est dans votre camp », La CNRF a visité 90 départements du Sénégal et 14 chefs-lieux de région où des foras ont été organisés pour donner la parole aux populations. Un réseau des journalistes accompagne la réforme et la société civile a lancé le réseau « Réformons le foncier ». La parole est désormais aux universitaires pour que le projet de politique foncière qui sera remis prochainement au chef de l’État ne souffre de l’absence d’aucun des acteurs concernés.

UNE DÉMARCHE INCLUSIVE

Parmi les contributions émises lors du panel, il a été relevé une proposition de relecture du bail emphytéotique qui semble être la meilleure réponse retenue par la Commission pour éviter que l’État n’ait plus la mainmise sur ses terres. Le concept de sous-baux qui irait dans le sens d’une affectation des terres de l’État aux communes, qui pourraient les octroyer sous forme à des tiers, n’agrée pas certains. Le professeur Moustapha Niang a souligné que la Commission chargée de la réforme foncière se penchera sur la question et qu’en tout état de pause, il s’agit surtout d’une question de formulation, car l’État s’appuiera sur ses Démembrements que sont les communes pour une gestion de proximité de son patrimoine foncier.

LA MAINMISE SUR QUELQUE 800 000 DÉNONCÉE
L’alerte concernant la mainmise de certaines sociétés nationales, internationales DU par des nationaux sur quelque 800 000 ha a été faite et un audit foncier demandé.
Ceci se tait avec la complicité de certains fonctionnaires et des responsables des collectivités locales, a-t-on dénoncé. A ce niveau du débat des rappels ont été faits sur les drames qui se passent ou ont eu lieu dans plusieurs localités du Sénégal où les populations ont dénoncé l’accaparement des terres. Car, demander une affection pour des milliers d’ha et ne se servir que d’une dizaine après plusieurs années d’exploitation est intolérable. C’est une forme de spoliation au moment où des milliers de bras attendent d’exploiter les terres. L’audit foncier est donc primordial ont souligné plusieurs participants aux travaux.

L’exposé du professeur Moustapha Sourang lors de cette rencontre a été l’occasion pour lui de rappeler la philosophie qui sous-tend le processus de la réforme foncière : « notre démarche est de sécuriser le foncier. L’âme de l’agriculture sénégalaise, c’est l’agriculture familiale. » Il insistera ensuite sur le souhait du président de la république Macky Sall qui fixe la priorité de la loi sur le domaine national qui concerne 95% des terres. « L’Etat a demandé à avoir le contrôle sur les terres et le traité de l’Ohada permet de régler ce problème. Pour mettre des droits réels sur le droit national, nous avons proposé de passer par le bail emphytéotique a soutenu le professeur Sourang. tout en soulignant que « le foncier pastoral ne figure pas dans le bail ».

L’AUDIT FONCIER EST PRIMORDIAL
Les grandes étapes de la réforme foncière au Sénégal ont été revisitées. Notamment de la réforme de 1964 à celle de 2004. La loi de 1964 sur le domaine national a permis à la Nation et non à l’Etat et aux collectivités locales de préserver jusqu’à aujourd’hui ses préroga¬tives sur 95% du territoire. Permettant ainsi de conserver et de geler la terre à l’inverse de l’expérience de Madagascar où sur les terres, l’Etat a créé des titres fonciers définitifs qui les cristallisent et produit non plus une réforme foncière, mais agraire. La loi de 1964 a permis de mobiliser les terres, car son cadre juridique stipule qu’elles ne peuvent être l’objet d’aucune appropriation en dehors de l’Etat, excluant toute vente, location ou mutation successorale. En revanche, beaucoup d’utilisations qui étaient prévues par cette loi n’ont pas été mises en place, si bien que la procédure de désaffection n’a jamais été appliquée suite à des insuffisances techniques. Pour le professeur Sourang, il n’y a que 152 000 titres fonciers pour l’ensemble de la population, ce qui montre le faible niveau de titularisation des terres et en même temps les possibilités de réforme qui s’imposent. Des dysfonctionnements ont conduit à la vente, à la location et à la spéculation, créant un accaparement de la terre. Mais il est à noter également que 60% des contentieux judiciaires découlent du foncier.
C’est en 2004, que la loi Agro-sylvo pastorale a été votée, ce qui est considérée comme « une révolution normative » pour le président de la CNRF, le professeur Moustapha Sourang. Car mettant en place un système de droits réels sur la terre, sur l’accessibilité, la vente et la transmission. Pour le professeur Moustapha Sourang, il y a un paradoxe sur le même objet, à savoir que ces deux lois qui coexistent ont des postulats complètement différents. Le président de la CNRF a insisté sur la nécessité de réaliser une synthèse des deux textes ou au mieux les concilier en faisant prévaloir « les fondamentaux de 2004 tout en gardant l’esprit de la loi de 1964 ». A cela, S’ajoute un outil approprié qu’est le bail emphytéotique qui permet de conserver la propriété de la terre tout en permettant son exploitation pour des baux ne dépassant pas 99 ans. De plus, il s’agit de distinguer les usages de ces baux entre usages pour des habitations, à vocation agricole ou pastorale.

POUR UNE SYNTHÈSE DES TEXTES DE 1964 ET 2004
La problématique de l’absence de cadastre en milieu rural, là où de plus en plus de villages veulent édifier des lotissements sans données précises, a été abordée. Moustapha Sourang veut donner aux femmes leur part de foncier même si sa volonté est confrontée sur le terrain à des refus dans certaines communautés, tout comme celle d’amener les jeunes vers la propriété foncière bute sur l’équation entre titre individuel ou titre communautaire devant le péril de voir les jeunes ruraux vendre la terre pour tenter l’émigration. « Je ne peux comprendre que notre jeunesse abandonne des terres riches pour aller à l’aventure », a relevé le président du CNRF.
La feuille de route du professeur a été bien enrichie lors de cette rencontre initiée par l’IPAR qui a signé une convention avec l’Académie des Sciences du Sénégal en présence du ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique, Mary Teuw Niane.

Auteur : Pape Amadou FALL
LA GAZETTE DU PAYS ET DU MONDE - N°283 DU 09 AU 16 JUILLET 2015