Think tank sur les politiques publiques dans le secteur agricole et rural en Afrique de l’Ouest

Accueil / Actualités / Revue de Presse / Saliou SARR, coordonnateur technique des programmes a ASTRODEB : « (...)

Saliou SARR, coordonnateur technique des programmes a ASTRODEB : « l’autosuffisance en riz ne sera pas atteint en 2017 »

Publié le 11 avril 2016

L’ancien président du comité national inter professionnel de la filière riz, membre du CNCR et par ailleurs coordonnateur technique des programmes à l’Association Sénégalaise pour la Promotion du Développent par la Base (ASPRODEB), est formel : Le Sénégal ne pourra pas atteindre les objectifs d’autosuffisance en riz fixés par le gouvernement pour 2017. Il conteste les chiffres de 60 000 hectares avancés par la SAED. C’est ce qu’il a déclaré dans cette interview qu’il a accordée hier mercredi 6 avril à Sud Quotidien. C’était en marge du congrès du CNCR qui se tient présentement au Centre international du commerce extérieur du Sénégal (CICES). Jugeant que le taux de croissance de 6,5% annoncé par le gouvernement est inexact, M. Sarr estime qu’il y a des problèmes de statistique et de gouvernance du secteur riz.


Le Sénégal s’est fixé un objectif très proche d’atteindre l’autosuffisance en riz en 2017. Que pensez-vous de cette ambition ?

Il faut rappeler que le programme national d’autosuffisance riz actuel est un nouveau programme qui prend sa source à partir de 2009 avec le premier programme national d’autosuffisance en riz du président Abdoulaye Wade qui pensait qu’en 2012 on pouvait effectivement atteindre l’autosuffisance en riz. Nous avions salué à l’époque cette volonté affichée de vouloir aller à l’autosuffisance en riz. Mais on avait à l’époque en tant qu’acteurs fait des observations pour dire que c’était très ambitieux et qu’il n’y avait pas de problème technique pour l’atteindre, mais qu’il fallait véritablement une volonté politique qui puisse convaincre le ministère de l’économie et des finances pour respecter les engagements pris par le gouvernement.

Pour donner un exemple, dans ce premier programme le gouvernement voulait atteindre l’autosuffisance en créant de nouveaux aménagements sur 60 000 hectares nouveaux. On disait à l’époque que c’était très ambitieux. On se demandait aussi si le matériel était disponible au niveau mondial pour pouvoir le faire dans ces délais courts, parce que 60 000 hectares c’est au moins 10 000 hectares par an. C’est 6 ans, ce qui dépassait le délai de l’autosuffisance. Mais ce qui était essentiel pour le président Wade c’était en tout cas de répondre à ce phénomène de raréfaction du riz avec la crise du riz de 2008. Donc on a compris que c’était plus politique que réel. En juillet 2012, quand on faisait le bilan, on s’était rendu compte qu’on n’avait pas atteint les objectifs. On en était très loin d’ailleurs, en ce sens qu’on était à 26% de contribution comparés à 25% avant.

Donc, on a très peu progressé. Au niveau du diagnostic, je me rappelle, c’était devant le premier ministre Abdoul Mbaye, on lui disait que contrairement à ce qu’ils pouvaient penser du point de vue de l’engagement des paysans, les gens avaient véritablement progressé en terme du remboursement du crédit agricole. On a trainé des taux supérieurs à 97%. On avait fait de grands bonds au niveau des rendements parce qu’on atteignait une moyenne de 5,50 tonnes en hivernage et une moyenne de presque 6 tonnes en contresaison à l’hectare. Je parle des rendements parce que ces niveaux de rendement placent le Sénégal au niveau du groupe des quatre pays qui avaient les rendements les plus élevés au monde. Donc, il y avait énormément de progrès. Mais du point de vue de l’engagement de l’Etat sur les 60 000 hectares nouveaux qu’on devait aménager, on rappelait au premier ministre contrairement à ce qu’il pouvait penser que l’Etat du Sénégal avait réalisé 0 hectare. On disait à l’époque en 2012 par rapport à ce programme nouveau qu’il faut changer les hypothèses, réduire les objectifs en termes d’aménagements nouveaux et aller vers des hypothèses qui augmentent les taux d’intensification.

Est-ce que ça été fait et qu’est-ce que ça a donné ?

Oui ça a été fait. On a quitté un taux d’intensification de 1,2 pour être à un taux de 1,5. C’était déjà important mais on n’a pas laissé le premier ministre Abdoul Mbaye continuer. Il y a eu un changement de gouvernement et le ministre de l’agriculture a changé. Et le nouveau ministre de l’agriculture, Pape Abdoulaye Seck, lui au lieu de poursuivre l’objectif 2012-2018 que le gouvernement Abdoul Mbaye avait adopté, il dit réduire d’une année. Il disait que c’était trop ambitieux. Entre 2012 et 2018, ce que cela demandait en termes d’organisation, de préalables et de pré requis, c’était impossible parce qu’il fallait sortir énormément de moyens financiers.

Les gens nous disaient que nous n’étions pas ambitieux et que le gouvernement de Macky a de l’argent pour pouvoir le faire. Chaque année, on avait dit ce qu’on devait faire au niveau irrigué dans la vallée, au niveau irrigué dans l’Anambé ou au niveau pluvial. Je rappelle que le premier programme de Wade avait donné l’essentiel. L’objectif d’autosuffisance, 80% de contribution du système irrigué et 20% du système pluvial. Avec le premier ministre Abdoul Mbaye on a réduit de 65 à 70% de contribution de l’irrigué et de 30 à 35% de contribution du pluvial. Mais quand le docteur Pape Abdoulaye Seck est venu, dans ce qu’il appelait les ruptures, il a dit premièrement qu’on va aller à l’autosuffisance intégrale au niveau irrigué. Donc toutes les superficies qui étaient cultivées en hivernage, on les remettait en contresaison.

Deuxièmement, on diminue la part de contribution du pluvial, 40% et 60% au niveau irrigué. C’était en 2014 et on devait en 2017 arriver à 70 000 hectares de cultivé en hivernage et 70 000 en contresaison. Ce qui fait 140 000 hectares. Avec un rendement de 6,5 tonnes pour arriver à 900 000, presqu’à 1000 000 tonnes de riz paddy et 183 000 hectares de pluvial, à raison de 3 tonnes à l’hectare pour arriver à 600 000 tonnes de paddy et à 1 600 000 tonnes de paddy qui devraient être le niveau d’atteinte de l’autosuffisance en riz. Parce qu’effectivement si on arrive à 1 600 000 tonnes, converties en riz blanc, c’est à peu près 1 050 000 tonnes de riz blanc. On estime effectivement qu’avec les 14 millions ou 13 millions 500 mille habitants du Sénégal, à ce stade là, à raison de 75 kilos par personne et par an, c’est à peu près 1 020 000 tonnes de riz blanc. Donc quand on arrive à 1 050 000 tonnes avec l’augmentation de la population, je pense que chaque année nous avons une augmentation de 500 000 habitants de la population. Donc les comptes étaient bons. Mais il fallait 425 milliards quand on a évalué. A peu près 106 à 107 milliards pour l’Etat, plus de 160 milliards pour les bailleurs de fonds et à peu près 150 milliards pour les privés et les exploitations familiales.

Et aujourd’hui on est en 2016, l’échéance n’est pas loin. Qu’en est-il exactement ?

Si on prend les objectifs de 2015, on devait être à 60 000 hectares en hivernage et 60 000 hectares en contresaison, 120 000 hectares. Nos évaluations nous donnent 55 000 hectares réalisés, c’est à peu près 32 000 hectares en hivernage et 23 000 hectares en contresaison. La SAED dit non c’est 60 000 hectares. Mais même si c’est 60 000 hectares c’est 50% des objectifs du point de vue quantitatif superficie et du point de vue rendement on est très loin des rendements de 6,5 tonnes escomptés en moyenne parce que vous pouvez le vérifier. En contresaison, vous avez vu on a parlé de plusieurs milliers d’hectares qui étaient inondés qui n’ont pas finalement donné une bonne production. On a constaté aussi au niveau des rendements de l’hivernage de grosses baisses parce que du fait des parcelles inondées les gens ont eu du retard pour faire l’hivernage. Avant de boucler les superficies en hivernage il avait beaucoup plu.

Finalement ces parcelles là ne pouvaient plus être façonnées pour être semées. Les gens ont fait des semis directs donc dans les parcelles où il y avait du riz, on avait mis de l’eau et augmenté de l’engrais. C’est ce qu’on appelle repousse. On a évalué à plus de 3000 hectares les superficies de repousse. Et comme vous le savez, les superficies de repousse donnent des rendements bas, c’est pourquoi donc même du point de vue rendement moyen 6,5 tonnes on n’a pas atteint les objectifs. Au niveau du pluvial, aussi on était un peu loin des comptes, je crois que d’après les recensements que nous avons fait c’est au tour de 120 000 hectares, le gouvernement parle de 140 000 hectares et parle de 3 tonnes là où nos moyennes de rendement sont autour de 1,5 tonne.

Bref, le gouvernement déclare 917 000 tonnes sur des objectifs de plus de 120 000. Donc, du point de vue superficie, du point de vue rendement et du point de vue quantité produite, on n’a pas atteint. Mais le gouvernement dit 917 000 tonnes. Or, si on le convertit c’est plus de 600 000 tonnes de riz blanc. C’est invraisemblable. Alors en 2015 on a démarré un nouvel outil de protection du riz sénégalais avec le ministère du commerce. Le calcul est simple parce qu’avec ce nouvel outil on régule les importations. On part des quantités de riz local produites et on complète avec du riz importé. On avait autorisé une première fois 500 000 tonnes en début 2015, et ensuite après le mois de juillet à août on avait autorisé 300 000. Ce qui fait 800 000 tonnes de riz blanc importé pour un coût à peu près de 200 milliards. On estime les quantités de riz consommés au Sénégal à 1 050 000 tonnes mais moi je dis de prendre 1 100 000 tonnes. Si on en déduit 800 000 tonnes de riz importé c’est 300 000 tonnes. Vous voyez que c’est différent déjà du chiffre du gouvernement qui était contesté. Et si divise 300 000 tonnes de riz blanc par le coefficient de transformation qui est de 60%, on arrive à 600 000 tonnes de paddy. Ce qui est différent de 917 000 tonnes. Ce sont les 600 000 tonnes qui sont correctes en ce sens que si vous prenez même 60 000 hectares dans la vallée, nous on disait 55 000 et la SAED dit 60 000 avec un rendement de 5 tonnes c’est 300 000 tonnes de paddy. Si vous prenez 155 000 hectares de pluvial et non 140 000 déclarées par le gouvernement, avec un rendement de 2 tonnes, c’est 300 000 tonnes de pluvial. Alors, 300 000 tonnes de pluvial et 300 000 tonnes de contresaison qui font 600 000 tonnes. Donc, c’est ça qui est correct. C’est pour dire en fait qu’on est très loin des objectifs de 1 200 000 tonnes qu’on devrait réaliser en 2015.

Donc, vous contestez l’objectif d’atteinte de l’autosuffisance en riz en 2017 ?

Non, on ne pourra pas l’atteindre, ça c’est sûr parce qu’en cette contresaison on devait être à 65 000 hectares, mais d’après les données de la SAED on est à moins de 40 000. 0n est au tour de 37 000 à 38 000 hectares. Et le constat que j’ai fait depuis cinq ans quand on en arrive à 30 000, à 35 000 hectares de contresaison, la campagne d’hivernage qui suit les superficies emblavées en hivernage baissent. Cela veut dire qu’en 2016 encore on ne va pas atteindre les objectifs. Si on est à des niveaux pareils, on reste très loin des objectifs de 70 000 hectares que nous devons atteindre en hivernage et en contresaison en 2017. C’est pourquoi nous avons demandé qu’on fasse une évaluation à mi parcours, comme c’était 2014-2017, c’est 8 campagnes, 4 campagnes d’hivernage et 4 campagnes de contresaison. On a fait 2 campagnes de contresaisons et 2 campagnes d’hivernages, on devait s’arrêter pour voir quels sont les niveaux d’atteinte, quels sont les problèmes, pourquoi et comment. Et que faire même ? J’avais constaté qu’on avait suffisamment de tracteurs pour pouvoir emblaver 60 000 à 70 000 hectares en contresaison, parce que si on a 50 000 ou 60 000 hectares en hivernage, qu’on veuille encore faire à nouveau en contresaison et qu’on démarre la récolte au mois de décembre, entre le mois de décembre et la campagne de contresaison on a que deux mois et demi.

Comment en deux mois et demi et même voire trois mois on peut récolter 50 000 hectares, voire 60 nuits et les façonner pour pouvoir les semer avant la fin mars. C’est techniquement impossible. C’est pourquoi je disais, à partir de ce constat là, et même avec 100 tracteurs disponibles pour trois mois, j’appelle à ce qu’on corrige nos hypothèses de travail pour cibler 35 000 voire 40 000 hectares en contresaison et faire le maximum en hivernage, donc 80 000 à 90 000 hectares. Mais on ne m’a pas entendu. La preuve en tout cas on a continué. Le DG de la SAED et le ministère étaient en train de dire que la contresaison de 2016 sera la contresaison la plus productive en termes de superficies et de rendements. La preuve, on n’arrive pas à 40 000 alors qu’on devrait être à 65 000. Donc, c’est pour dire en fait que dans ce pays on a des problèmes de statistique, et de gouvernance du secteur. Et tant que les acteurs ne seront pas au centre pour piloter la gouvernance du secteur on ne va pas atteindre les objectifs. Tant que nos gouvernements vont prendre des engagements et qu’ils ne les respectent pas, on n’atteindra pas nos objectifs. Et ce qui est dommage, ce sont les ministères qui donnent les chiffres, des statistiques qui sont validées à plus haut niveau. Et on part de ces statistiques là pour dire voilà le taux de croissance du pays est à 6,4 à 6,5%. Ce n’est pas exact.

Source : http://www.sudonline.sn/l-autosuffisance-en-riz-ne-sera-pas-atteint-en-2017_a_29298.html