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Sudonline.sn /TOUR DE TABLE AVEC… Dr Ibrahima Hathie, directeur de recherche de l’Ipar « Il y a des options politiques qui sont prises aujourd’hui, qui ne sont pas durables »

Publié le 12 août 2016

Le domaine de la recherche se mobilise pour apporter des réponses adéquates aux phénomènes de changement climatique que l’on observe un peu partout. Au Sénégal, le Dr Ibrahima Hathie de l’IPAR est membre d’une équipe de recherche sur ces questions. Il analyse les dynamiques en cours dans cet entretien.

Est-ce qu’à l’heure actuelle, on peut parler d’effets du changement climatique sur l’agriculture au Sénégal ?
Effectivement, les études ont montré que quand on regarde ce qui s’est passé ces trente dernières années, le Sénégal est en train déjà de ressentir les effets des changements climatiques. On voit que du point de vue de la température, il y a eu une augmentation de la température. Du point de vue de la pluviométrie aussi. Non seulement, on voit que la pluviométrie est erratique, mais les débuts de saison sont devenues beaucoup plus tardifs, les fins de saison surviennent parfois à des périodes soit tardives ou précoces. Ce qui est beaucoup plus important, c’est la variabilité qui rend la prévision beaucoup plus difficile. Donc, déjà, nous ressentons les effets du changement climatique. Le problème maintenant, c’est qu’on prévoit que ces effets vont être beaucoup plus importants dans les années à venir, notamment si on fait une projection sur les 25, 30 années à venir.

On constate que l’ANACIM a initié des actions pour informer les paysans. Mais avec les changements, le travail des prévisionnistes est souvent à l’épreuve de la réalité ?
Il faut faire la différence entre les prévisions de moyen court terme et les prévisions de long terme. L’Anacim essaie d’aider les paysans par rapport aux changements en cours. Et ça, on sait très bien que c’est relativement difficile. Les prévisions sont fondées sur des modèles mathématiques qui peuvent être vrais à une échelle très importante mais arrivés à une échelle plus réduite, peuvent ne pas s’opérer compte tenu de la variété. On peut par exemple prévoir qu’il va pleuvoir dans la région de Kaolack, mais dans un village précis, il peut ne pas pleuvoir. Et ces changements peuvent affecter les paysans. Si on regarde de près, l’option de l’Anacim est bonne. Il faut prendre les informations climatiques et les mettre à la disposition des paysans qui sont les premiers affectés.

On sait que l’agriculture porte en quelque sorte la croissance sénégalaise. Quelles vont être les répercussions sur les performances du secteur ?
C’est pourquoi il est important de réfléchir sur cette question du changement climatique sur l’agriculture. Car l’agriculture dans nos pays, occupe une part très importante, notamment sur le bien-être des populations. Une bonne partie de la population est rurale et l’agriculture est la principale source de revenu de ces populations. Donc, si on a un impact négatif de ces changements climatiques, ça va affecter directement le niveau de pauvreté, le bien-être de ces populations. C’est pourquoi, il faut travailler sur les adaptations et travailler aussi à comprendre quels sont les éléments qui vont affecter cette agriculture. Les cultures par exemple, ne seront pas affectées de la même manière. L’arachide et le mil ne seront pas affectés de la même manière. Il faut que la recherche aide à identifier les effets probables et voir comment les diminuer.

Dans le cadre de cet atelier, vous avez fait une présentation dans laquelle vous donnez l’exemple de Nioro. Pourquoi ce choix et qu’est-ce qu’on peut en retenir ?
Ma présentation essaie davantage de montrer qu’au-delà du climat, si nous voulons vraiment nous préparer aux changements climatiques, il faudrait qu’on prenne en compte d’autres variables qui influent sur l’agriculture. La tendance et la trajectoire de l’agriculture sont importantes. Que cette trajectoire dépend de facteurs internes et externes, et que les décideurs doivent être conscients du fait que ce n’est pas seulement le changement climatique qu’il faut regarder mais toutes les variables qui tournent autour. Pourquoi Nioro ? C’est parce que dans le cadre d’une équipe de chercheurs qui regroupe plusieurs pays, Ipar est impliqué dans cette équipe et nous avons regardé un peu ce qui se passe au Sénégal. Et nous avions pris l’étude de cas de Nioro pour voir d’ici 2050, comment l’agriculture va se modifier, quels sont les effets probables du climat sur l’agriculture et qu’est-ce qu’il faudrait faire pour s’adapter à ça ? Mais Nioro, c’est juste un exemple. Mais l’image la plus importante, c’est le Sénégal.

Des conclusions partielles déjà ?
L’étude n’est pas encore complète, mais nous avons déjà quelques éléments qui ressortent. Il est évident que sur la température, on sait qu’elle va augmenter. Sur la pluviométrie, c’est moins net. Mais déjà, nous commençons à voir des effets. Par exemple, les rendements qui vont baisser sur l’arachide, les céréales. Mais l’idée intéressante qui commence à ressortir, c’est que ces prévisions, c’est sur 30, 50 ans. Que les systèmes de production peuvent changer. La façon dont les producteurs combinent ces différentes spéculations peut changer et l’Etat peut aider à cela avec de nouvelles variétés qui s’adaptent à une augmentation de la température ou une baisse de la productivité. Nous commençons à avoir cela et certainement, dans les mois à venir, nous aurons des résultats beaucoup plus complets qui montreront l’impact des adaptations sur le bien-être des populations.

Et justement, est-ce que le gouvernement prend les bonnes dispositions actuellement ?
Disons qu’il y a beaucoup d’efforts qui sont faits par le gouvernement dans le court et le long terme. La question des changements climatiques est une question complexe et une question de moyen et long terme. Les décisions qui sont prises aujourd’hui, notamment la décision politique vont davantage nous affecter. Et ma présentation a montré que dans le cadre du Pse, c’est bien de réfléchir aux investissements qui vont être faits, mais il faut garder à l’esprit les choix de durabilité. Il y a des options politiques qui sont prises aujourd’hui, qui ne sont pas durables, qui peuvent augmenter le revenu et le bien-être de manière momentanée, mais les conséquences sur l’environnement peuvent être désastreuses. C’est pourquoi, il faut toujours garder à l’esprit l’idéal d’avoir le bien-être qui s’améliore avec la durabilité, parce que les générations futures sont aussi importantes.

Par Mame Woury THIOUBOU / voir en ligne