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landcoalition.org - Ce qu’il faut pour faire un doctorat en gouvernance foncière

Publié le 19 octobre 2018

Entretien avec Dr. Ibrahima KA, juriste, expert foncier international, chercheur et responsable du département foncier et gestion des ressources naturelles à IPAR

Chaque année, des milliers d’étudiants obtiennent leur diplôme universitaire, mais peu étudie des sujets pertinents pour la gouvernance foncière. Proposé dans très peu de programmes universitaires, ce sujet n’a pas été au centre des préoccupations de nombreuses universités africaines. Bien que de nombreux étudiants manifestent un intérêt pour la gouvernance foncière, les orientations sur l’élaboration des stratégies pour étudier ce domaine spécifique sont généralement limitées.

En 2017, Ibrahima Ka (IKa) était l’un des experts fonciers qui a partagé ses connaissances avec plus de 200 étudiants et conférenciers au Cameroun lors de l’assemblée régionale de l’ILC Afrique. Ibrahima a récemment obtenu son doctorat de droit sur l’analyse de la sécurisation foncière rurale au Burkina Faso et au Sénégal. Il explique pourquoi il a fait un doctorat sur le foncier et comment il partage ses connaissances.

Q : Pourquoi avez-vous décidé de faire un doctorat sur la gouvernance foncière ?

IKA : C’est certainement difficile de dire le pourquoi on décide en un moment de faire une thèse. Mais me concernant, j’ai très tôt vu le foncier comme étant un domaine d’expertise et de conviction pour moi. En effet, je suis originaire du monde rural, d’une famille d’éleveurs. Depuis tout petit, j’ai assisté à beaucoup de conflits liés à la terre. Je pense que cela a joué dans mon choix de travailler sur les questions foncières et d’être plus près des communautés auxquelles j’appartiens. Dans tous les cas, dans le cadre de ma thèse, je suis resté dans une progression personnelle. En mémoire de maîtrise, j’ai travaillé sur la gestion foncière dans la communauté rurale de Touba Mosquée. Ceux qui connaissent le Sénégal savent jusqu’à quel point la communauté mouride est influente. Dans mon mémoire pour l’obtention du Diplôme d’Etudes Approfondies, j’ai analysé la loi sur le domaine national en termes d’état des lieux et perspectives pour un développement économique et social. En restant dans la progression, j’ai voulu, dans le cadre de la thèse, faire un travail de benchmarking sur les politiques foncières dans les pays du Sud en se focalisant sur le Burkina Faso et le Sénégal. La démarche est très intéressante, car elle permet un croisement d’expériences sur le foncier et permet un apprentissage mutuel entre modèles de sécurisation foncière rurale.

Q : Quel a été l’impact de votre étude sur les acteurs foncier ? Votre recherche, a-t-il informé les pouvoirs publics ? A-t-il aidé la société civile à développer des arguments contre les excès des États ou a-t-il apporté d’autres résultats ? Veuillez indiquer comment cela a eu un impact sur les gens.

IKA : Une recherche qui n’a pas d’impacts n’en est pas une, car le chercheur doit toujours chercher au sein de la communauté ses propres sujets de recherche. Il doit avoir en tête que les résultats de ses recherches doivent servir soit à alimenter un débat, soit à influencer des décisions, des choix de société. Pour ma part, le contexte a été favorable, car j’ai enclenché la recherche alors que le Sénégal a été dans un processus de réforme relancé depuis 2012. En tant qu’agent d’IPAR, j’étais membre des cadres de dialogue sur le foncier notamment le comité technique du Cadre de Réflexion et d’Action sur le Foncier au Sénégal (CRAFS) et la Plateforme Nationale Directives Volontaires/ Gouvernance Foncière (PN DV/GF). Dans le cadre du processus de réforme, les organisations de la société civile ont cherché à influencer les conclusions de la réforme. Un important travail a été mené au sein du comité technique ; ce qui a permis l’élaboration d’un document de contribution unique des acteurs de la société civile. En tant que chercheur intéressé par l’analyse croisée des politique d’enregistrement des terres, j’ai certainement contribué à ouvrir la réflexion sur le foncier au Sénégal vers les autres expériences en termes de leçons apprises et d’écueils à éviter.

Les résultats de mes travaux peuvent aujourd’hui aider à aborder une réforme foncière dans n’importe quel pays, car ils sont issus d’une analyse matricielle qui met en évidence différentes dimensions du foncier en lien avec les différentes dimensions de la sécurisation foncière.

Cette ouverture aux autres expériences en Afrique permet d’informer sur certaines questions au Sénégal comme la question de l’accès des femmes à la terre, la politique de titre foncier, etc. Aujourd’hui, IPAR aborde beaucoup de questions et beaucoup d’entre-elles sont inspirées d’ailleurs.

Également, toujours dans le cadre du travail, j’ai été formateur pour une variété de cibles notamment les communautés locales, les élus locaux, les journalistes et les parlementaires. Ces formations concernent le cadre légal, les directives volontaires, la négociation foncière, le pastoralisme, etc. A travers ces interventions, j’ai pu, y compris en langues locales, faire prendre conscience des aspects de sécurisation du foncier aux acteurs.

Q : comment utilisez-vous cette expérience et ces connaissances pour aider d’autres organisations de la société civile travaillant avec IPAR ?

IKA : Une recherche doit toujours être utile. Je pense que IPAR, en tant que Think Tank et une organisation à but non lucratif, est là au service du développement. Les recherches que nous produisons alimentent le débat pour une influence politique à toutes les échelles. Nous sommes membres de tous les cadres de dialogue sur le foncier et nous essayons d’apporter notre modeste contribution. IPAR assure le secrétariat de la Plateforme Nationale Directives Volontaires et Gouvernance Foncière (PN DV/GF) et nous facilitons le processus de la Stratégie Nationale d’Engagement (SNE) sur le foncier au Sénégal. En même temps, nous sommes coordonnateur du Dashboard (outil de suivi et évaluation de la gouvernance foncière à travers 30 indicateurs basés sur les 10 engagements de l’ILC). Egalement, nous sommes point focal du PRindex (Global Property Rights Index) au Sénégal. Cela fait que nous sommes au cœur du dispositif de la gouvernance foncière multi-acteur dans le pays. Aussi, nous accompagnons l’Observatoire Nationale de la Gouvernance Foncière (ONGF) dont la phase test est centrée sur les communes concernées par le Projet de Développement Inclusif et Durable de l’Agrobusiness au Sénégal (PDIDAS). Le secrétariat de cet ONGF est assuré par le Conseil national de concertation et de coopération des ruraux (CNCR) et nous accompagnons en injectant dans la réflexion les fruits de nos recherches et de nos lectures. Au niveau continental, j’ai, avec un collègue, Emmanuelle SULLE, sur demande de l’ILC, fait un travail de capitalisation des stratégies nationales d’engagement (SNE) sur le foncier au Togo, Niger, Cameroun, Malawi, Kenya, Afrique du Sud, Tanzanie, et Madagascar. Cette étude a même été présentée lors du Forum de haut niveau sur les plates-formes multi-acteurs en Afrique en novembre 2017 à Addis-Abeba organisé par IFAD, l’ILC et LPI (devenu ALPC) en marge de la deuxième conférence biennale sur le foncier de la Africa Land Policy Center(ALPC) en novembre 2017.

Q : Enfin, pouvez-vous dire en quoi l’engagement avec les membres de l’ILC vous a aidé à mieux comprendre la gouvernance foncière ?

IKA : Depuis l’adhésion d’IPAR au sein du réseau ILC, j’ai été désigné comme point focal. A ce titre, j’ai participé à beaucoup de rencontres organisées par l’ILC Afrique. Actuellement, je suis le co-facilitateur de la SNE au Sénégal. La SNE travaille avec les membres de l’ILC au Sénégal, mais aussi fait les liens avec d’autres pays. Avec la SNE, le débat sur la gouvernance foncière au Sénégal intègre de nouvelles questions en plus celles qui jusqu’ici étaient cantonnées sur le cadre légal, sur l’accaparement des terres et sur les directives volontaires. Beaucoup d’analyses qui ressortent de la SNE touchent aux dix engagements de l’ILC pour une gouvernance foncière centrée sur les personnes avec des questions nouvelles comme les défenseurs des droits fonciers, la protection des peuples autochtones, etc. Toutes ces expériences ont beaucoup contribue à enrichir ma connaissance sur le foncier.

Q : Un mot sur votre vision de la gouvernance foncière en Afrique

IKA : J’ai certainement beaucoup à partager sur la gouvernance du foncier en Afrique mais juste montrer que le développement de nos Etats, de nos terroirs et de nos communautés passe inéluctablement par une sécurisation durable de nos ressources foncières. Autrement à la place d’une bénédiction, nos ressources seront frappées d’une malédiction. Cette sécurisation passe par la prise en charge de ses différentes dimensions : sécurisation des usagers, sécurisation des usages, sécurisation des ressources, sécurisation des transactions, sécurisation des droits et la dimension opérationnelle (capacité matérielle, financière, humaine à mettre en œuvre durablement une mécanique de sécurisation du foncier). Dans tous les cas, il faut renforcer les capacités des acteurs, rompre avec l’égoïsme et promouvoir les démarches inclusives et participatives à toutes les échelles, du nouveau local, étatique jusqu’au niveau continental voire mondial en passant par les cadres d’intégration, développer des outils adaptés, influencer les décideurs pour des choix de société en faveur de leurs communautés.

Source : landcoalition.org