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leconomie.net/ Ibrahima Ka expert en sécurisation foncière rurale sur la réforme en cours : « des critiques peuvent subsister sur l’ingénierie en matière de sécurisation  »
Publié le 29 août 2016
L’expert en sécurisation foncière rurale Ibrahima Ka a, dans un entretien qu’il a accordé à Leconomie.net, fait une analyse sur les politiques foncières au Sénégal. Du constat de Mr Ka « Beaucoup d’initiatives sont passées mais elles ont toutes, pour une raison ou une autre, échoué ».
Cependant, a-t-il concédé « Il faut se réjouir du déclic qui est intervenu avec la dernière Commission Nationale de Réforme Foncière (Cnrf) mise en place par la seconde alternance depuis 2012  ». Car pour M Ka, juriste chercheur à l’Initiative perspective agricole et rural (Ipar) : « L’essentiel, c’est d’arriver à une réforme foncière qui soit acceptée et défendue par les usagers du foncier mais aussi une réforme économiquement efficace et efficiente, politiquement correcte, socialement acceptable, moralement juste, écologiquement et durablement ficelée  »
Leconomie.net : Quelle analyse faites-vous de la procédure de réformes foncières que le Sénégal est en train de mettre en œuvre ?
Le Sénégal traverse une période charnière de son existence en tant qu’Etat souverain depuis 1960. Aujourd’hui, les défis de développement économique et social sont énormes et c’est intéressant de voir comment la terre peut être mobilisée dans les perspectives de la consolidation des efforts pour faire un saut qualitatif. Mais il reste que les terres au Sénégal, du moins une grande partie parmi elles – 95% selon les estimations qui sont aujourd’hui, du reste, datées – relèvent du domaine national et sont gérées conformément aux dispositifs institutionnel, législatif et règlementaire en vigueur, principalement la Loi n°64-46 du 17 juin 1964 portant Domaine National et ses nombreux textes d’application. Mais il faut tout simplement relire ce cadre juridique posé à la lumière des évolutions et réformes intervenues ultérieurement.
C’est le cas avec l’Acte III de la Décentralisation porté par une loi de décembre 2013 qui comporte des changements majeurs dans la politique de décentralisation en procédant à la communalisation intégrale mais également en appelant à une réorganisation du pays en territoires viables, compétitifs, plus à mêmes de porter des stratégies de développement. Aujourd’hui, un constat est fait et semble être partagé par les acteurs du foncier. Il y a un consensus autour de la nécessité de procéder à une cure de jouvence du dispositif textuel et institutionnel pour gérer les terres au Sénégal, en tenant compte des nombreux bouleversements intervenus dans la société sénégalaise dans son ensemble. C’est pourquoi, depuis au sortir des années 90, le thème de la réforme foncière est devenu récurrent. Beaucoup d’initiatives sont passées mais elles ont toutes, pour une raison ou une autre, échoué. La réforme foncière, toujours annoncée, reste encore attendue en 2016 même si la Loi d’Orientation Agro-Sylvo-Pastorale (LOASP) prévoyait la réforme depuis 2006, soit deux ans après cette loi.
Cependant, il faut se réjouir du déclic qui est intervenu avec la dernière Commission Nationale de Réforme Foncière (CNRF) mise en place par la seconde alternance depuis 2012. Cette commission est en train de travailler et elle suscite l’espoir des acteurs. Elle bénéficie de la volonté politique car selon le Président de la République (Macky Sall), la réforme foncière est une condition de réussite de son PSE (Plan Sénégal émergent). Cette réforme devrait également consolider le schéma foncier du projet PDIDAS (Projet pour le développement inclusif et durable de l’agribusiness au Sénégal), car ce projet a été articulé autour d’un schéma expérimental de réforme foncière.
Dans le fonds, la CNRF a quelques acquis notamment le fait de faire précéder la modification des textes pertinents par une politique foncière qui fixe des choix politiques et les grandes orientations à donner aux terres. C’est une chose à saluer. Egalement, la CNRF veut rompre avec les méthodologies militaires en promouvant la concertation et le consensus. Elle a sillonné le pays pour aller vers les populations, y compris dans les zones les plus reculées pour intéresser le plus lointain usager du foncier. C’est aussi une autre chose à saluer. Mais il reste que des critiques peuvent subsister sur l’ingénierie en matière de sécurisation foncière rurale mobilisée et sur la qualité de la participation des différentes couches aux rencontres décentralisées. La Société civile regroupée dans un cadre dénommé CRAFS (Cadre de Réflexion et d’Actions sur le Foncier) composé de faitières paysannes, d’organisations spécialisées dans le plaidoyer et d’institutions de recherche comme IPAR a voulu avoir son mot dans le processus et cela dès le début en demandant à ce qu’elle ait des représentants dans la plénière de la CNRF. A chaque étape du processus, la société civile, réunie au sein d’un cadre dénommé CRAFS (Cadre de Réflexion et d’Action sur le Foncier au Sénégal), s’est positionnée, moins comme une force de contestation systématique mais davantage comme une force de proposition, et a initié un dialogue avec la CNRF. Elle a entamé en son sein un travail d’harmonisation des positions des organisations sur la réforme foncière. Le 8 aoà »t dernier, la CNRF a tenu une rencontre de pré-validation du draft de la politique foncière.
Ce document a été lu et apprécié par les experts de la société civile qui ont fait des commentaires en identifiant des points de convergence, des points d’inquiétude, des observations générales accompagnés de propositions en sus des propositions déjà contenues dans le document de propositions de la société civile sur la réforme foncière qui était partagé avec la CNRF. La société civile a également identifié quelques points non négociables. Selon elle ce sont des points qui sont identifiées comme des points à risque car ils peuvent conduire à un effet pervers de la réforme. La CNRF est attendue sur toutes ces questions dont dépend la Paix durable de ce pays. Elle devra être sensible à toutes les voix qui s’élèveront car il y va de l’acceptabilité du produit de la réforme. L’essentiel, c’est d’arriver à une réforme foncière qui soit acceptée et défendue par les usagers du foncier mais aussi une réforme économiquement efficace et efficiente, politiquement correcte, socialement acceptable, moralement juste, écologiquement et durablement ficelée etc.
Leconomie.net : Est-ce que cette réforme, combinée à l’urbanisation galopante, n’exposent pas les ruraux à l’expropriation des leurs terres ?
L’étalement des villes qui se traduit par l’avancée du front urbain sur les terres autrefois agricoles est une des préoccupations saisissantes que la CNRF doit prendre en compte dans sa politique foncière. En effet, chaque jour, ce sont des centaines d’hectares qui sont mobilisés dans des opérations d’aménagement animées par des opérateurs immobiliers. Cela pose un problème d’équilibre et d’arbitrage entre la politique d’habitat (une demande en logement de plus en plus forte) et une politique de sauvegarde de la vocation des zones dans le cadre de politiques d’aménagement du territoire.
Aujourd’hui la zone des Niayes qui fournit 80% de la production légumière consommée à Dakar est menacée par des sociétés immobilières qui remplacent par des lots de maisons les casiers maraichers. Les pistes de bétail qui passaient dans ces zones très convoitées sont déviées, si non simplement gommées de la carte. Les conflits deviennent incontournables. Dans tous les cas, l’avancée du front urbain expose les ruraux à une forme de vulnérabilité car ils sont contraints soit à reculer, soit à se transformer eux-mêmes à autre chose, et investir d’autres canons, y compris la reconversion dans des secteurs d’activités pour lesquels ils n’étaient pas préparés. Il s’y ajoute que l’Etat se place dans une perspective développementaliste et donne plus tête aux investisseurs qu’aux usagers légitimes de la terre. Ce qui se passe dans tout le pays et particulièrement dans la grande côte est saisissant.
Des sociétés minières sont en train de s’installer pour exploiter des produits à haute valeur ajoutée. Il faut tout simplement veiller à ce que ces investissements se passent dans le respect de principes d’investissement responsable comme le rappellent des Directives Volontaires dont IPAR se charge de la dissémination dans la sous-région. Il convient d’avoir une grille d’analyse diachronique de ces projets d’investissement à grandes emprises foncières en mettant l’accent sur les trois moments : avant, pendant et après, travailler pour un consentement libre préalable donné en connaissance de cause des communautés qui accueillent le projet, faire bénéficier des retombées positives du projet à ces communautés et veiller à la remise en état des terres utilisées.
En plus de cette grille, il convient d’appliquer une bonne politique d’accompagnement pour les communautés dont leurs terres sont convoitées par des projets à emprises foncières en faisant usage des cadres légaux pertinents notamment les dispositions en matière d’expropriation pour cause d’utilité publique ou les dispositions ambitieuses des institutions financières comme la Politique Opérationnelle 4.12 de la Banque Mondiale, les Politiques de Sauvegarde Opérationnelle de la BAD etc.
Leconomie.net : Quelle est la politique à mettre en œuvre pour créer des activités capables des fixer les ruraux ?
La mobilité de l’homme est naturelle. Les ruraux comme les urbains se déplacent. Mais ce qui est saisissant, c’est que ces déplacements ne se font pas dans le même volume. Les ruraux se déplacent plus vers le milieu urbain et cela pour diverses raisons, familiale, étude et le travail. Le milieu urbain en raison de la concentration des opportunités de travail accueille plus de monde, surtout des jeunes désœuvrés pendant la saison sèche qui dure très longtemps. Pour renverser ce mouvement pendulaire entre la ville et la campagne, il faut miser sur un marketing territorial en explorant des potentialités de développement des zones rurales.
L’agriculture représente un bon créneau à investir, surtout si l’on sait qu’avec une bonne politique de maitrise de l’eau, il est possible de travailler toute l’année. Egalement, il faut un redressement dans la politique d’implantation des unités de production. C’est certainement le moment de remettre sur scelle le visa territorial qui permet à un investisseur de bénéficier de bonifications tarifaires ou douanières en s’implantant dans des zones déshéritées. Les universités régionales peuvent aussi contribuer à cette redéfinition de la carte des opportunités car elles peuvent polariser des chaines d’activités connexes. Un travail intéressant est en train d’être fait sur le marketing territorial mais il est encore à renforcer. Il faut se réjouir ici de l’Acte III qui est une opportunité pour creuser davantage cette perspective en appelant à une spécialisation agro-écologique. Je rappelle que sur la problématique de l’emploi des jeunes en zone rurale, un important travail a été fait par IPAR et le rapport est disponible dans le site : www.ipar.sn . Aux termes de cette étude, différentes recommandations ont été faites, parmi elles : faciliter l’accès et le contrôle des ressources productives aux jeunes ruraux, prendre en charge les besoins d’information sur les marchés ruraux du travail, renforcer les capacités des jeunes et faciliter le transfert d’expériences etc. En somme, l’Etat devra mettre en place une politique de rétention des jeunes dans le monde rural en explorant les opportunités qu’offre le secteur agricole.
Source : http://leconomie.net/?p=761