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Nouvel Hebdo N°08 // Subventions agricoles : Des milliards dépensés pour une efficacité « relative »

Publié le 11 juin 2016

Le rapport annuel 2015 de l’Initiative prospective agricole et rurale (Ipar) montre une tendance haussière des soutiens financiers apportés aux agriculteurs pour l’acquisition de semences, d’engrais et de matériel agricole. En revanche, l’efficacité de cette politique reste « relative ».

Inefficace.
Ce mot résume bien le constat auquel a abouti le rapport en question, rendu public la semaine dernière par le think tank sénégalais Initiative prospective agricole et rurale (Ipar) et intitulé « Subvention des intrants agricoles au Sénégal : controverses et réalités ». Ce Rapport annuel sur l’état de l’agriculture et du monde rural au Sénégal pour l’année 2015 est la première du genre. Tout au long des 44 pages, le texte s’interroge sur la politique de subventions agricoles avec notamment des chapitres consacrés aux semences ; aux engrais et aux matériel agricole. « En contribuant à réduire le prix d’un intrant agricole, la subvention devrait contribuer à desserrer la contrainte financière qui pèse sur l’agriculteur. Ce quin’est pas le cas », déplore le rapport. Qui souligne qu’une bonne partie de l’argent fait l’objet de « détournement d’objectif de la subvention dans le contexte d’un ménage rural relativement pauvre ».
Fruit d’un travail de terrain et de recherche, le rapport de l’lpar constate que « ces dernières années, beaucoup de milliards ont été injectés dans l’agriculture sénégalaise et malgré cela, la productivité continue de baisser, mettant les populations paysannes dans un véritable désarroi ». II insiste particulièrement sur l’efficacité « relative » de la politique de subvention des intrants agricoles. <Les subventions à l’engrais ont contribué en partie à améliorer la productivité agricole au Sénégal mais cette performance n’estpas suffisante. Pire encore, la subvention n’apparaît pas comme un discriminant significatif en termes de productivité quel que soit le niveau de couverture du prix de l’engrais ».
En outre, « la manière dont la distribution des intrants est faite, avec certains bénéficiaires qui n’avaient rien à voir avec l’agriculture » a porté préjudice à l’initiative. « En théorie, le niveau de production doit être le critère d’octroi de la subvention aux intrants tout en tenant compte du ciblage des plus nécessiteux. En réalité, les intrants sont vendus et l’Etat accompagne en apportant une subvention ».

« Agriculteurs du dimanche »
A titre illustratif, le document cite l’exemple de la Grande offensive agricole pour la nourriture et l’abondance lancée en 2008 par l’ex-président Abdoulaye Wade. « Par exemple, en 2008-2009, le programme spécial intitulé Goana a absorbé près de 345 milliards Cfa avec une grande partie destinée aux subventions en intrants.... (Or), Toutes ces ressources ont plus profité à des agriculteurs du dimanche », lit-on dans le rapport. Dans la même veine, le document indique que « si la subvention porte sur du matériel agricole lourd, elle sera captée par les exploitants les plus riches qui ont la capacité financière d’acheter le matériel. Alors que les paysans du bassin arachidier souffrent du sous-équipement en matériel léger (semoir et houe sine) ».
Concernant les subventions d’engrais, le rapport note que leur coût est passé de 4,6 milliards Cfa en 2004-2005 à 18,1 milliards en 2012-2013. Là aussi, les efforts financiers de l’Etat sont captés par les agriculteurs fortunés, à défaut de faire l’objet de détournement, pour être vendus dans les marchés hebdomadaires à des prix élevés, ou en Gambie, au Mali et en Mauritanie. Ce « trafic » vers les pays limitrophes favorise « une déperdition des ressources publiques », ce qui équivaut à une situation inattendue : « l’Etat (du Sénégal) subventionne indirectement les pays de destination de ces intrants étant donné qu’une partie des prix est
compensée par la subvention », révèle le rapport.
Selon le rapport 2015 d’Ipar, « le coût global de la subvention aux semences est passé de 5 milliards Cfa en 2008 à 15,024 milliards en 2010/2011 et à 10,480 milliards Cfa lors de la campagne agricole 2013-2014 coïncidant avec la mise en oeuvre du Programme d’accélération de la cadence de l’agriculture sénégalaise (Pracas).

Kaolack, la région la plus subventionnée
A la lecture du rapport, on constate que la région de Kaolack enregistre 24,27% du total des intrants subventionnés. Dans le détail, cela donne : 41,11% de l’engrais ; 35,32% des produits phytosanitaires ; 11,16% des semences et 28,08% du matériel agricole sont distribués dans le Bassin arachidier.
La région de Diourbel vient en seconde position avec 13,99% des intrants subventionnés. Soit 3,55% pour l’engrais ; 7,06% des produits phytosanitaires ; 27,24% des semences et 28,87% du matériel agricole. La région de Thiès occupe la troisième position avec une consommation de 10,37% des intrants subventionnés, avec la répartition suivante 11,40% pour l’engrais, 2% des produits phytosanitaires, 6,80% des semences et 3,04% du matériel agricole. Ces trois régions qui constituent le bassin arachidier sénégalais, en plus de Kaffrine, ont donc capté 54,45% des intrants subventionnés.

Réviser la politique de subvention
La nécessité de revoir la politique de subvention s’impose pour éviter les détournements vers les pays étrangers. C’est la conclusion à laquelle a abouti le rapport 2015 d’lpar qui exhorte à l’avènement de mécanismes économiques capables de favoriser la performance chez les agriculteurs. « En effet, la logique a toujours été le soutien par les prix, aussi bien pour la commercialisation de la production que pour l’accès aux intrants. Or, il est nécessaire de définir des priorités avant d’attribuer les aides. La répartition des aides a toujours été fondée, de fait, non sur les performances agricoles, mais sur la reconduction des subventions ».
En effet, d’après les auteurs du rapport, « les intrants constituent la principale charge des agriculteurs. Le pourcentage de chaque intrant rapporté à la production vendue fait ressortir la lourdeur des charges supportées par l’agriculteur ».

Petits agriculteurs pénalisés
L’inventaire des goulots d’étranglement de la politique de subventions agricoles est mis en évidence. « Les principales limites dans la politique de subvention des intrants agricoles portent sur : les modalités d’accès et de distribution, les coûts élevés, le manque de transparence du système à tous les niveaux, la qualité souvent médiocre et le trafic vers les pays limitrophes », dénonce le document.
Une disproportion est notée dans la distribution des intrants. « Les grands exploitants cultivant les superficies les plus importantes reçoivent la plus grande part de la subvention, tandis que la majorité des petits agriculteurs reçoivent de petites quantités. Les agriculteurs possédant plus de 5 hectares et représentant 53,1% des ménages agricoles, bénéficient de près de 62,7% des intrants subventionnés. »
En outre, la répartition des intrants subventionnés selon « le type de culture est plus en faveur des :cultures de rente comme l’arachide et le maraîchage que des cultures céréalières ». Par conséquent, « les subventions sont captées par les grands exploitants agricoles au détriment des petits producteurs pauvres ».
En termes de recommandations, Ipar suggère l’inscription des « politiques de subventions dans un cadre plus global de stratégies alliant les objectifs d’amélioration de la productivité et de la compétitivité du secteur agricole à la réduction de risques pour les petits agriculteurs pauvres ».

Par Oumar Ba - Nouvel Hebdo // DMédia