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COVID-19 : comprendre le confinement ou le « déconfinement »

Publié le 9 mai 2020

La gestion de la pandémie du COVID-19 (COronaVirus Infectious Disease-19 en anglais) suscite un débat intense au sein de l’opinion publique dans certains pays du monde à des degrés divers. Faut-il confiner encore ou déconfiner maintenant ? Pour répondre à cette question, il est plus sage de passer par la science, même avec ses limites.

En effet, entre le marteau du nouveau coronavirus et l’enclume de la récession économique ou de la pauvreté, qu’est-ce qu’il faut choisir ? D’ailleurs, est-on obligé de choisir entre deux maux ? N’y a-t-il pas une troisième voie ? En effectuant une revue de la presse nationale et internationale mais en nous appuyant aussi sur les réflexions menées au sein du Groupe de Recherche Interdisciplinaire dénommé GRI-COVID19-ARCES qui a produit une analyse médico-économique de la stratégie du confinement, nous essayons de contribuer à éclairer la lanterne des Sénégalais. Pour compléter cette approche journalistique, médicale et économique, nous avons également pris appui sur des réflexions déjà produites par des spécialistes des sciences sociales (universitaires sénégalais et burkinabés) notamment sur la pertinence du confinement (total ou partiel) mais aussi sur la compréhension des pratiques et des comportements des individus à l’égard du COVID-19. Pour apporter des éléments de compréhension, nous allons exposer d’abord la stratégie du confinement et ses limites qui développent chez les populations des comportements de résistance, ensuite, nous nous attarderons sur les motivations qui sont à la base de la stratégie du déconfinement et, enfin, nous soulignerons comment le Sénégal s’est engagé dans la bataille contre le COVID-19 tout en se démarquant du confinement total.

Le confinement et ses limites dans la lutte contre le COVID-19

Dans la plupart des pays européens, le confinement général a été la solution adoptée. D’après une étude de l’Institut Pasteur de Paris, il a contribué à faire baisser le taux de transmission du virus à hauteur 84% et faire chuter le nombre de personnes contaminables par un malade du COVID-19 de 3,3 personnes à 0,5 personnes en France. Donc, les taux de contagion et de mortalité (éventuellement des pertes en vies humaines) auraient été maîtrisés grandement, en partie, par le confinement général. S’interrogeant sur l’efficacité des mesures de confinement telles que le télétravail et la fermeture des écoles en France, des chercheurs de l’Institut National de la Recherche et de la Santé Médicale (INSERM) ont montré que le pic épidémiologique pourrait être retardé de 2 mois et que le nombre de cas positifs pourrait être réduit de 40%.

Par conséquent, il devient indispensable de maintenir le confinement pour ne pas annihiler les résultats positifs déjà engrangés dans la limitation de la transmission du virus. La crainte d’une deuxième vague épidémiologique à cause d’une très faible immunité collective plaide en faveur du confinement. Donc, si le confinement semble montrer son efficacité sur le plan médical et sanitaire, il est de plus en plus critiqué pour plusieurs raisons, surtout économiques. Le revers de la médaille du confinement est la menace de la stabilité du tissu socio-économique des pays qui l’ont adopté. En effet, comment faire fonctionner correctement l’économie, assurer une paix sociale et contenir la propagation du COVID-19 ? A défaut de garantir une réponse efficace à cette question, les populations ont tendance à développer de la résistance contre le confinement. D’autant plus que d’autres considérations plus profondes entrent en jeu et dont il est nécessaire de comprendre pour ajuster les stratégies de lutte contre le COVID-19.

Dès les premiers moments de la crise en Afrique, des universitaires sénégalais (sociologues et/ou anthropologues de l’Université Gaston Berger de Saint-Louis du Sénégal et des chercheurs de plusieurs disciplines de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar) et burkinabés ont interrogé la pertinence médico-économique du confinement et montré la contribution indispensable des sciences sociales dans la lutte contre la pandémie du COVID-19. Pour ce faire, ces dernières peuvent aider à comprendre les représentations qui entourent le COVID-19 au sein de différents groupes sociaux qui n’ont pas forcément la même manière de lire, d’interpréter, de comprendre et de réagir face à la pandémie. Cela explique le comportement réfractaire de certaines jeunes de Dakar (sans les excuser !) au respect du couvre-feu et la révolte de Thor face aux forces de l’ordre. Selon les groupes sociaux, les représentations sont de plusieurs ordres : religieuses, naturelles ou biomédicales, complotistes, etc. La prise en compte de ces considérations permet d’anticiper sur l’acceptabilité des mesures de prévention qui « heurtent la sociabilité quotidienne, les pratiques culturelles et religieuses » et instaurent la « rupture de la quotidienneté ». Pour qu’elles soient efficaces, ces mesures doivent être « socialement, culturellement, religieusement acceptables et médicalement protectrices » pour les populations qui sont contraintes de les respecter car elles sont des « êtres configurés psychologiquement, socialement, culturellement, cultuellement, etc. »

Ainsi, on comprend aisément les critiques contre les mesures de restriction de la mobilité des personnes, de privation des libertés civiles, sociales, politiques qui créent de la lassitude chez les populations et surtout contre le confinement qui ralentit l’immunité collective de la population, en l’absence de vaccin, même s’il est un rempart contre la propagation du virus (quel paradoxe !), et qui crée les conditions d’une récession économique.

Le déconfinement pour sauver l’économie

Au Sénégal, le taux de croissance prévu à 6,8% en 2020 est revu à la baisse à moins de 3%. Le GRI-COVID19-ARCES prévoit une récession économique de -9,9% par rapport au PIB de 2019, s’il y a lieu un confinement total pendant 1 mois, avec un taux d’activité de 33,64%. Cette récession économique équivaudrait à une baisse de 1 484 milliards de francs CFA du PIB. Globalement, le coût économique total d’un mois de confinement total est évalué à une perte supérieure à 2 485 milliards de francs CFA (16,56% du PIB). Compte tenu des mesures de lutte contre le COVID-19, on s’attend à ce que le tourisme, le transport aérien, l’hôtellerie, la restauration, la contribution financière de la diaspora, etc. soient les secteurs les plus durement touchés par la crise économique et financière qui résulte de la crise sanitaire liée au COVID-19. Cependant, en lieu et place du confinement total, le dépistage massif et le port du masque (produit localement pour la population de plus de 5 ans) rendu obligatoire permettraient de réduire le coût économique final à 275 460 000 000 de francs CFA.
Pour le continent africain, la Commission économique des Nations Unies pour l’Afrique a estimé les pertes engendrées par un confinement d’une durée d’un mois à -2,5% du PIB annuel continental. Ce représente un manque à gagner de 65 milliards de dollars américains.

En France, l’Institut National de la Statistique et des Etudes Economiques (INSEE) indique une perte d’activité économique de l’ordre de -33%, une baisse de la consommation des ménages de 32% et affiche une baisse de l’emploi salarié privé de -2,3%, soit 453 800 emplois détruits en un trimestre. Par conséquent, le recul du PIB y est prévu à -5,8% au premier trimestre contre -4,7% en Italie et 5,2% en Espagne. En Grande Bretagne, le pays européen le plus touché, 6 millions de personnes sont envoyées au chômage technique, 3 000 suppressions d’emplois par la compagnie Virgin Atlantic, etc. Les prévisions de l’Office for Budget Responsability (OBR), un organisme public en charge des prévisions budgétaires et économiques auprès du Gouvernement, tablent sur une baisse de 13% du PIB sur l’année 2020 si le confinement se prolonge jusqu’à 3 mois puis suivi de mesures d’assouplissement progressives. En termes d’emplois, 2 millions de chômeurs sont attendus sur le marché. Aux USA, le pays le plus touché au monde, le chômage explose d’où la pression du Gouvernement fédéral à « libérer » les Etats des mesures de confinement qui sont jugées excessives et dénoncées lors de manifestations anti-confinement. D’après les chiffres du département du travail, les inscriptions au chômage ont dépassé 26 millions en 5 semaines de confinement. Le taux de chômage y est passé de 3,5% en février 2020 à 14,7% dans le sillage des mesures de confinement.

Dans ce contexte, pourquoi ne pas adopter la stratégie du confinement ciblé sur les groupes à risques c’est-à-dire les personnes âgées qui sont apparues plus fragiles face au COVID-19 ? Pour aller vers le déconfinement, pourquoi ne pas utiliser le traçage des personnes par le téléphone même s’il y a des voies qui se lèvent contre le risque d’atteinte à la privée ? Voilà des questions continuent d’alimenter le débat. Mais, qu’en est-il de la stratégie sénégalaise ?
L’approche sénégalaise de la lutte contre la pandémie du COVID-19
Depuis, l’apparition du virus, le 2 mars 2020, au Sénégal, le Gouvernement a pris des mesures telles que l’instauration de l’Etat d’urgence le 23 mars 2020, assorti du couvre-feu de 20h à 6h (qui a d’ailleurs été prolongé jusqu’au 2 juin 2020), la fermeture des écoles et des universités, la restriction de la mobilité des personnes, l’interdiction des rassemblements de personnes, le port obligatoire du masque, une campagne de sensibilisation et de communication pour le respect de mesures barrières même si la distanciation sociale et physique est parfois difficilement observée par les populations.
En plus de ces mesures immédiates, une stratégie plus structurelle est élaborée à travers le Programme de Résilience Economique et Sociale (PRES) dont le financement est évalué à 1 000 milliards de francs CFA pour renforcer le système de santé et la résilience sociale des populations, assurer la stabilité macroéconomique et financière du pays en ciblant le secteur privé et les emplois et, enfin, assurer un approvisionnement régulier du pays en hydrocarbures, produits médicaux, pharmaceutiques et denrées de première nécessité. Ainsi, le PRES a permis la prise en charge immédiate de la distribution de denrées alimentaires et des facteurs d’eau et d’électricité.

Au fur et à mesure, les autorités ont affiné leur plan de lutte contre le COVID-19. En effet, les malades dont l’état de santé ne nécessite pas immédiatement une hospitalisation sont isolés dans des endroits extrahospitaliers pour éviter le débordement des personnels de santé dans les hôpitaux. Par ailleurs, en dépit du débat international sur l’efficacité ou les effets secondaires de la chloroquine, la prescription de l’hydroxychloroquine (antipaludique) seul ou associée à l’azithromycine (antibiotique) aux malades admis dans les hôpitaux a été généralisée. Ce qui a permis d’enregistrer, à la date du 10 mai 2020, 1 709 malades du COVID-19 dont 650 guérisons, 18 décès, 01 évacué et 1 040 cas encore sous traitement

Dans ce contexte, on peut se demander pourquoi le Sénégal n’a pas opté pour le confinement total. Sans doute, grâce aux réflexions des universitaires et des spécialistes de la santé qui auraient influencé les choix des autorités. A cela, s’ajoute la situation socio-économique du pays dont la vie (ou la survie) de certains citoyens s’accommoderait très difficilement du confinement total. Dans un pays où le secteur informel fournit 96,4% des emplois, il s’avère très difficile de confiner les populations dont la plupart vit au jour le jour. Au Sénégal, le taux de pauvreté monétaire a été estimée à 46,7% à l’échelle nationale et 26,1% à l’échelle de Dakar en 2011 (ANSD, 2013). A Dakar, les taux de pauvreté subjective et monétaire s’évaluaient respectivement à 35,4% et 26,2% (ANSD, 2013) où les ménages s’estiment pauvres quand ils ont des difficultés à nourrir leur famille (72,0%), quand ils n’ont pas de travail (12,2%). Avec ces éléments, la stratégie du non confinement total paraît compréhensible d’autant plus qu’il ne faudrait pas perdre de vue le risque d’une crise sociale et politique liée à une crise économique, elle-même sortie du flan de la crise sanitaire provoquée par le COVID-19.

En conclusion, il existe bien une autre manière de procéder pour « Daan coronavirus », comme on le dit au Sénégal. Pour cela, il a fallu contextualiser la stratégie de lutte en l’adaptant à la situation socio-économique pour non seulement contrer la propagation du virus mais aussi pour maintenir l’activité économique dans la mesure du possible, étant entendu que les autres pays avec lesquels le Sénégal entretient des relations économiques, financières et commerciales très denses sont également touchés de plein fouet par la pandémie du COVID-19. Pour dire que la science reste la meilleure approche pour prendre des décisions efficaces dans des situations comme celle que nous vivons actuellement.

Dr Sidy TOUNKARA, sociologue
Chercheur à l’IPAR

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