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Compensation, impense et indemnisation : Une harmonisation des textes recommandée

Publié le 2 décembre 2015

Un panel organisé par l’Institution de recherche, l’Initiative prospective agricole et rurale (Ipar) sur les méthodes de compensation dans l’installation de projets convoitant des terres à usage pastoral, forestier et minier a servi de prétexte pour soulever le débat sur la problématique des impenses et des compensations au Sénégal. Régies par la loi 76-67 du 02 juillet 1976, cette question reste encore une équation à plusieurs inconnues. Jusque-là, ni les barèmes appliqués encore moins les procédures ne font l’unanimité. Dans ce dossier, certains estiment que l’Etat doit profiter de ce contexte marqué par des réformes sectorielles telles que celles relatives au foncier et au Code minier pour aller vers une harmonisation de la législation afin de régler définitivement la question.

Une étude effectuée par l’enseignant-chercheur en droit de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar, Mor Sèye Fall, atteste que le continent africain est caractérisé par la spécificité de faire partie des rares contrées qui bénéficient moins de leurs ressources naturelles. Ce phénomène que certains appellent le « paradoxe de l’abondance » ou la « malédiction des ressources naturelles » est plus accru dans le secteur minier. Les pays africains occupant les premiers rangs mondiaux en production de minerais, restent, les plus pauvres économiquement à l’échelle mondiale. Il estime qu’à l’instar d’autres pays africains, le Sénégal n’est pas épargné par le « paradoxe de l’abondance » quant à la gouvernance des ressources minérales. A tire illustratif, la région de Kédougou qui constitue la principale zone aurifère du pays était classée récemment comme étant une des plus pauvres du Sénégal. Cette situation, à en croire le chercheur, s’explique par la particularité du secteur minier dans la mesure où il est en superposition avec plusieurs autres secteurs dont celui du foncier. L’octroi de titre minier aux industries extractives entraîne, de facto, la privation de terres appartenant aux communautés locales. Et pourtant, les activités principales de ces populations que sont l’agriculture, l’élevage et la sylviculture restent essentiellement liées à la disponibilité et à la qualité des ressources foncières.
Lors de nos multiples déplacements dans la zone de Sabodala, en compagnie de la société minière Teranga Gold Opération qui exploite l’or dans la zone aurifère du département de Kédougou, un phénomène retenait vite l’attention. La dégradation des sols et les tentatives de les restaurer à travers le reboisement. En effet, en entrant dans l’exploitation de Teranga gold corporation (Tgo), la première image qui frappe le visiteur est la présence de lacs artificiels et d’arbres morts. Des surfaces de rétention d’eau ont été créées pour permettre à la société d’utiliser de l’eau dans l’exploitation de la carrière. La zone d’exploitation minière est entourée de bassins artificiels de résidu minier. En ce qui concerne les arbres morts, on avance souvent qu’ils ne sont pas morts à cause des produits toxiques. On soutient que ce sont des lacs d’eau potable et que chaque mois, des prélèvements y sont effectués à des fins d’analyses. Un des responsables de la société minière admet toutefois que le bassin artificiel mis en place reste une zone dangereuse. D’où la clôture aménagée tout autour. A sa fermeture, les responsables du site ont prévu, en relation avec le service des Eaux et Forêts, de replanter des bambous.

Terres convoitées par des projets au Sénégal

Ils sont conscients des exigences de la règlementation. Pourtant le phénomène continue de hanter le sommeil des autochtones et des ressortissants de la zone. C’est le cas du Pr Mory Traoré, enseignant-chercheur à l’Ucad. Venu prendre part à l’atelier de l’Ipar sur les compensations des terres convoitées par des projets au Sénégal, il soutient que la règle d’or dans la préservation de l’environnement, c’est le respect des écosystèmes. « La recherche du gain ne peut avoir une primauté sur la protection des ressources dans la durée et la préservation des modes de vie des populations », a-t-il soutenu. L’enseignant-chercheur estime que si l’on évoque la question des compensations en zone minière, elle devrait se poser en droit des minorités afin de renforcer le dispositif institutionnel. « C’est une question qui est à cheval entre le droit minier, le droit de l’environnement et le droit pastoral », a souligné le professeur. Il préconise la création d’un véritable contre pouvoir pour éviter certaines dérives et éclairer les populations. Abondant dans la même lancée, Mor Sèye Fall évoque aussi les déplacements involontaires des populations dans les communes de l’arrondissement de Méouane, dans la région de Thiès. Cette localité a aussi la particularité d’abriter deux entreprises minières que sont les Industries Chimiques du Sénégal (Ics) et Grande Côte Opération (Gco).
En ce qui concerne les Ics, le dernier cas d’expropriation de populations concerne les villages de Mbar Ndiaye et Mbar Diop, situés dans la commune de Méouane. Le processus de déplacement de ces deux villages était rythmé de conflits entre l’entreprise et les communautés. Une telle situation était due à plusieurs facteurs comme l’avancée de la mine, vers les villages, les pollutions chimiques et sonores issues de l’entreprise et la perte de l’essentiel des terres de cultures occupées par le site minier.
De telles pratiques semblent ne pas être en phase avec les textes sur l’expropriation pour cause d’utilité publique car les communautés sont dépossédées de leurs facteurs de productions sans bénéficier d’indemnités préalables. On se souvient encore des manifestations de populations qui ont fait l’actualité dans la zone. Malgré leur réticence, l’entreprise avait finalement réussi à les déplacer dans la zone de Pire en mettant à leur disposition une partie de l’enveloppe concernant leurs indemnités. Même si ces indemnités sont faibles ainsi que les superficies culturales mises à leur disposition au site de recasement.

C’est le cas aussi de l’emprise occupée par la société Grande Côte opération (Gco) qui, lors de son implantation, a eu à déplacer des villages dont celui de Diogo, situé dans la commune de Darou Khoudoss. Même si la majorité des populations avait accepté le principe de l’entreprise, le processus d’expropriation des terres n’a pas été sans difficultés. Un certain nombre de personnes n’était pas d’accord sur les modalités d’évaluation des impenses. Quid des déplacements des villages traditionnels sérères de la forêt de Thiès qui occupaient jadis l’emprise actuelle de la zone aéroportuaire Blaise Diagne de Diass ? En dépit des efforts de la société Aibd, le problème avait défrayé la chronique.

De bonnes pratiques

A côté de ces cas, il existe quelques exemples de bonnes pratiques qui ont été identifiés au cours de ces épisodes d’expropriation et d’indemnisation des populations au Sénégal à cause de grands projets. On peut citer, entre autres, les compensations effectuées à l’occasion des travaux du Millénium Challenge Account (Mca) dans les zones traversées par les projets. Il en est de même de l’autoroute à péage qui a coûté environ 80 milliards de FCfa pour les indemnisations des populations affectées par le projet communément appelées (Pap). D’où la nécessité de poser le problème de la compensation et des impenses sous un angle transversale, selon les observateurs. Si pour certains, le cas des mines reste spécifique, d’autres restent convaincus que celui des éleveurs doit être appréhendé sous une approche multidimensionnelle. C’est l’avis du spécialiste en droit foncier, le Dr Rosner Ludovic Alissoutin qui estime que pour ce dernier cas, il faut savoir aussi qu’on est en présence d’un déplacement chaque fois qu’un projet entraîne le mouvement des pasteurs. « Il faut éviter la dichotomie car l’élevage est aussi un mode normal d’utilisation des ressources foncières. On ne doit pas chasser des éleveurs de leur terre sans pour autant les aider à poursuivre leur activité ailleurs », a déclaré M. Alissoutin. Abondant dans le même sens, le lieutenant Daouda Bodian des Eaux et Forêts, tient à souligner qu’en compensation sur les terres forestières, il est important de comprendre que le déclassement d’une forêt est un acte juridique par lequel une forêt passe du statut de domaine de l’Etat au statut de domaine national publique. « Le déclassement ne peut intervenir que pour un motif d’intérêt général ou de transfert des responsabilités de l’Etat en gestion forestière au profit d’une collectivité locale qui garantit la pérennité de la forêt », a-t-il précisé. Il cite le cas de l’Aéroport international Blaise Diagne de Diass où la compensation a été faite sous forme de contribution de l’Aibd à la régénération de la forêt par le développement d’actions d’enrichissement dans les forêts classées de Sébikhotane, de Thiès et de Bandia.

Aller vers une amélioration des mécanismes d’indemnisation

Pour améliorer les mécanismes d’évaluation des impenses ainsi que les modalités d’indemnisation des communautés victimes d’expropriations, l’atelier organisé par l’Ipar a débouché sur certaines recommandations à proposer à la Commission nationale de réforme foncière (Cnrf). Il s’agit de la nécessité d’aller vers une harmonisation des textes et des barèmes. Aly Sine, Inspecteur des Trésors, ne comprend pas le fait que des barèmes de 1990 soient appliqués jusqu’en 2010 alors qu’une disposition de la loi prévoit pourtant une révision tous les 2 ans. Il estime que l’Etat doit redéfinir les règles et impliquer davantage les collectivités locales en leur accordant la possibilité de gérer des situations particulières. Un spécialiste du droit foncier évoque la nécessité d’aller non seulement vers une harmonisation des textes mais aussi de clarification des modalités pour stabiliser les conditions dans lesquelles on accorde des compensations. « Les pouvoirs publics et la société civile doivent, à cet effet, profiter de la réforme foncière pour légiférer et clarifier les choses », a indiqué Cheikh Oumar Bâ, directeur exécutif de « Initiative prospective agricole rurale (Ipar). Une structure qui a décidé d’engager le débat sur la question. « On sait qu’aujourd’hui, l’Etat a engagé un certain nombre de perspectives par rapport au développement du pays comme le Plan Sénégal émergent et on sait également que les investissements se feront sur la terre. D’où la nécessité d’harmoniser les textes sur les compensations afin d’éviter les conflits », a indiqué M. Bâ. Pour certains, l’indemnisation doit avoir vocation à maintenir ou à améliorer les conditions initiales des populations victimes d’expropriation pour cause d’utilité publique. Comme l’a rappelé le Juriste foncier, Ibrahima Kâ de l’Ipar, « dans un contexte marqué par la réforme foncière, il est important de prendre en compte toutes les questions que le droit foncier pose et parmi celles-ci, celle des compensations mérite une attention particulière ». L’Ipar a ainsi jugé nécessaire de poser le débat avec plusieurs entrées thématiques comme la problématique du foncier à usage d’habitat, celle du foncier à usage pastoral et agricole ainsi que le foncier à usage minier et forestier afin de soumettre les conclusions aux pouvoirs publics dans un contexte marqué, aujourd’hui, par des réformes.

Un dispositif juridique caduc

Nombre de juristes estiment que la problématique des compensations et des impenses demeure une question à géométrie variable qui nécessite des solutions variables en fonction des lieux et des cadres. Pour juguler un tel phénomène, les communautés expropriées de leurs terres pour les besoins de l’exploitation minière devraient bénéficier, en retour, d’indemnités leur permettant de compenser correctement les pertes subies. Mor Sèye Fall estime qu’un tel dispositif a été prévu dans la législation sénégalaise. Il doute, toutefois, de son efficacité à favoriser la réalisation ou l’amélioration des conditions de vie des populations déplacées. En guise d’illustration, les populations de Diogo, de Mbar Ndiaye et de Mbar Diop, dans la région de Thiès, semblent préférer leurs conditions d’antan bien avant leur déplacement. Il en est de même pour les communautés déplacées dans les zones minières de la région de Kédougou.
En effet, des investigations montrent que pour concrétiser et rendre opérationnelle la vision politique du pays en déplacement et réinstallation des communautés, un certain nombre de lois et décrets a été adopté par l’Etat. Les juristes soutiennent que les premières tentatives de l’Etat en gestion et gouvernance foncière ne favorisaient pas une parfaite mainmise de celui-ci sur toutes les différentes catégories de terres du pays même s’ils refusent l’évocation d’un vide juridique sur la question. Pour bénéficier d’une marge de manœuvre sur les terres du domaine national occupées par les populations et les terres du domaine des particuliers, titulaires de titres fonciers, l’Etat a adopté la Loi 76-67 du 02 juillet 1976 portant sur l’expropriation pour cause d’utilité publique. Cette loi, comme le soutient M. Fall, est en phase avec les dispositions de la constitution de 2001 dans laquelle, il a été stipulé qu’on ne peut porter atteinte au droit de propriété que dans le cas de nécessité publique légalement constatée, sous réserve d’une juste et préalable indemnité.

« Des préalables sont cependant requis avant de procéder à l’expropriation des populations tant du point de vue de l’information que de leur participation », renseigne-t-on.
Les textes indiquent que pour compenser les pertes subies par les propriétaires ou occupants des terres, la détermination des indemnités est laissée à l’appréciation du promoteur et de la victime. En cas de désaccord, il est prévu le recours à un tribunal et les modalités sont fixées par un juge du tribunal de première instance. Mor Sèye Fall estime que l’absence de participation de certains acteurs dans les différentes commissions pose aussi le problème de la démarche et soulève la question de l’efficacité et de la pertinence des indemnités proposées. « Certains acteurs comme les Organisations non gouvernementale (Ong) et les Organisations communautaires de base (Ocb) semblent être exclues des commissions. Par conséquent, les chances de prendre en compte les principales préoccupations des communautés locales sont très limitées à cause d’une approche non inclusive », souligne le juriste. « Compte tenu du rôle que ces catégories d’acteurs jouent dans la société, il serait plus pertinent de les considérer en les impliquant dans les processus décisionnels relatifs au déplacement et indemnisation des populations », suggère Mor Sèye Fall.
Son collègue Mory Traoré estime que l’absence de mécanismes de suivi des communautés déplacées fait également partie des insuffisances du dispositif juridico-institutionnel du pays en expropriation pour cause d’utilité publique.

Dossier réalisé par Seydou Prosper SADIO