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Compte rendu du wébinaire sur l’avenir de la transformation artisanale de poissons au Sénégal

Publié le 23 avril 2022

Ce webinaire organisé par l’Initiative Prospective Agricole et Rurale (IPAR) et centré sur le thème « l’avenir de la transformation artisanale de poissons au Sénégal », s’inscrit dans le cadre de la valorisation des réflexions de l’institution sur ce segment de la pêche artisanale. Il a été structuré autour de communications sur les problématiques suivantes :

i. « Situation des pêcheries et Initiatives de gestion des ressources au Sénégal » par Dr. Moustapha KEBE, Économiste des pêches et Consultant Freelance
A travers cette communication, Dr Kébé a fait un état des lieux des pêcheries du Sénégal en mettant en exergue le rôle stratégique du secteur halieutique en termes de sécurité alimentaire et nutritionnelle, de création d’emplois et de devises économiques. La pêche, la pêche artisanale notamment, connait toutefois des difficultés liées à la pression sur les ressources (surpêche, pêche illégale, impact de la pêche industrielle, pandémie covid, etc.). Son exposé a mis en exergue la surexploitation des pélagiques côtiers, matière première des transformatrices.

ii. « Se réinventer pour survivre, l’avenir des transformatrices de poisson au Sénégal » par Rougyatou KA, Géographe-Chercheure à IPAR
Cette réflexion pose les enjeux prospectifs de la transformation artisanale du poisson (TAP) au Sénégal. Spécifiquement, elle campe le décor d’un sous-secteur qui peine à évoluer dans un environnement halieutique hostile et propose des solutions innovantes pour un développement maîtrisé de la transformation artisanale du poisson. Parmi les pistes de solutions proposées, figure l’aquaculture, un secteur encore peu développé au Sénégal.

iii. L’aquaculture comme stratégie de résilience de la transformation de poissons au Sénégal, par Dr Hamet Diaw DIADHIOU, Chercheur Biologiste des Pêches, Freelance-consultant ;
Cette communication propose le développement de l’aquaculture comme moyen de résilience des acteurs de la Transformation artisanale de poisson. Elle insiste aussi sur les moyens de valoriser les déchets issus de la transformation artisanale des produits (production d’engrais, d’aliments pour l’aquaculture, de compléments d’aliments pour l’aviculture, etc.).

iv. Retour d’expérience des Transformatrices sur les défis de la TAP au Sénégal, par Mme Awa DJIGAL, Transformatrice, Fenagie-Pêche et Mme Fama SARR, Transformatrice, CLPA/Saint-Louis.

Elles ont axé leurs interventions sur les difficultés liées à l’activité de transformation qu’elles imputent à la diminution des stocks de poissons et à la concurrence déloyale des industriels dans l’accès aux ressources.

DISCUSSION
Le débat et les échanges ont mis en lumière 1) un secteur de la pêche en mutation dans un contexte marquée par le renchérissement des investissements, une baisse des captures avec une possible accentuation du fait des changements climatiques et de l’exploitation du pétrole et du gaz ; 2) Un métier de la transformation artisanale de poisson durement éprouvé par la diminution des stocks, la concurrence des industriels ; et 3) qui doit s’adapter ou mourir. Ils proposent enfin 4) une poursuite de la réflexion afin de vider les questions en suspens et un renforcement du dialogue politique pour la résilience du secteur de la pêche.

La pêche artisanale, un secteur en mutation.
D’activités de subsistance, la pêche artisanale est passée à une activité économique qui requiert des investissements colossaux. Le constat a été fait lors des discussions ayant suivi les communications des panélistes. Et pour preuve, certains acteurs de la pêche ont avancé qu’il faut aujourd’hui, au moins 20 millions de FCFA pour acquérir l’équipement nécessaire à l’utilisation d’une senne tournante. Cette expansion incontrôlée de la pêche artisanale est une donnée avec laquelle il faut composer, ont-ils fait savoir. Par ailleurs, l’exploitation du pétrole et les changements climatiques font craindre une transformation structurelle plus profonde du secteur, selon les experts. En effet, avec le réchauffement climatique, il faut s’attendre à des changements dans les températures pouvant perturber les upwellings favorables au développement des pélagiques, dans la distribution des espèces, leur abondance, la modification des circuits migratoires, la disparition de zones de pêche avec la montée des eaux, etc. Quant aux hydrocarbures, leurs exploration et exploitation peuvent engendrer des nuisances majeures avec des pertes de biodiversité, des risques de pollution, les espaces de pêche concurrencés par les champs pétroliers, le renchérissement des coûts à cause des longs trajets à parcourir par les pêcheurs pour trouver du poisson, etc.

• La transformation artisanale, un métier en péril.
Parallèlement, les participants ont alerté sur la disparition progressive du métier de transformation artisanale de poisson sous l’effet de la raréfaction des ressources halieutiques combinée au diktat des usines qui accaparent les maigres quantités débarquées dans les sites de transformation. Il a été rapporté qu’il existe plus de 80 aires de transformation artisanale de poisson au Sénégal. Toutefois, beaucoup de ces sites ne sont pas fonctionnels faute de matière première. Des études menées avec l’IOTA sur les processus de transferts de technologie montre aussi que les technologies pour la plupart ne sont pas adaptées dans les sites de transformation.
Mais de l’avis de beaucoup, notamment des actrices de la transformation, ce qui tue ce sous-secteur, à petit feu, c’est l’implantation des usines qui captent les prises au détriment des femmes transformatrices. Cependant, certaines analyses ont soutenu que si les pêcheurs vont directement vendre aux usines, c’est qu’ils y trouvent un intérêt. La raison est que ces usines achètent le poisson à meilleur prix. On assiste, de plus en plus, à une monétarisation du secteur avec des acteurs plus orientés vers le business que vers une activité familiale.

• S’adapter ou disparaitre
Au regard de la forte contribution du métier de la transformation dans l’économie nationale, un appel a été lancé pour le conserver à tout prix. Pour cela, il a été recommandé de trouver les moyens de sécuriser les femmes transformatrices en faisant une discrimination positive en leur faveur et en leur accordant des subventions. Par ailleurs, le problème pourrait être réglé en amont, en amenant l’Etat à réglementer la présence des industriels dans le sous-secteur de la transformation, d’autant que ces usines ne respectent pas l’impératif de sécurité alimentaire inscrit dans la politique sectorielle de la pêche. La majeure partie des produits transformés par ces usines sont destinés à l’exportation.
Pour sauver la transformation et arriver à créer de la valeur ajoutée avec des stocks en baisse constante, certains préconisent de trouver des alternatives telles que la mise en place de systèmes intégrés (agriculture, élevage, pêche...). La valorisation des sous-produits de la transformation a aussi été évoquée comme alternative. Les viscères, les têtes, les arêtes de poisson peuvent être utilisées pour faire des engrais et des fertilisants pour les bassins de pisciculture. L’orientation vers des métiers tels que l’aquaculture, l’industrialisation du secteur avec la création d’unités de transformation plus modernes, la connexion entre les sites de transformation, etc., pourraient également constituer des gages de résilience pour le sous-secteur.

• Poursuivre la réflexion et engager le dialogue politique pour la professionnalisation du secteur de la pêche.
La question de la pêche artisanale et celle de la transformation de poisson, en tant qu’héritages, interpellent tous les sénégalais, particulièrement l’Etat. C’est pourquoi, les participants ont exhorté à un meilleur suivi des politiques et des nombreux plans en vigueur au Sénégal concernant le secteur de la pêche pour leur mise en œuvre effective (lettre de politique sectoriel, plan d’aménagement des pêcheries de sardinelles et d’ethmalose, code de la pêche, promotion de la cogestion, code de l’aquaculture, subventions, etc.). La politique sectorielle, bien que pertinente, pose un problème de mise en œuvre.

Ils ont appelé à une réflexion de fond sur les solutions proposées pour arriver à la professionnalisation du secteur, notamment, la réorientation des subventions, la diversification, le développement de l’aquaculture, l’industrialisation, etc. Ils appellent à créer les conditions d’un dialogue politique sur toutes ces questions. La réflexion doit être globale car c’est toute la chaîne de valeur qui est menacée. Par extension, c’est la sécurité alimentaire qui est en jeu. Les produits transformés participent à l’alimentation des populations. Le métier de la transformation constitue un gage de culture gastronomique et de souverainement alimentaire. Il faut aller vers des films et des émissions télévisées pour impliquer le grand public et les professionnels de la pêche. A l’image d’autres secteurs, il faut mettre en place des structures d’encadrement et de vulgarisation, pour accompagner le développement de l’aquaculture.

Dans le domaine de la gouvernance, les participants appellent à un renforcement de la réglementation pour sécuriser les zones de pêche et les soustraire des affres de la pêche illégale (Instaurer un système de quota pour les pêcheurs internationaux, protéger les écosystèmes et les espèces, etc.). La pisciculture peut permettre de soulager les eaux.

La professionnalisation des métiers de la pêche est par ailleurs inévitable, de l’avis de certains. Ils avancent qu’on ne peut plus se fonder uniquement sur la tradition. Il faut également former les pêcheurs et leur assurer une sécurité sociale (retraite, assurance santé, etc.). Il faut, enfin, créer les conditions d’une transformation à grande échelle qui permettrait la distribution des produits et sous-produits vers les pays enclavés.

Il a, enfin, été souligné que beaucoup d’acteurs gravitent autour du secteur de la pêche (ONG, Etat, privé, transformateurs, …). Toutefois, un problème de coordination des actions se pose. Il est suggéré d’appeler à des états généraux pour une vraie dynamique et poursuivre la réflexion autour des questions abordées sur le secteur. Il faut que les chercheurs fassent une contribution pour résoudre ces problèmes.

CONCLUSION
Un webinaire autour de la sécurité alimentaire est prévu le 26 avril 2022. Il s’attachera à trouver des réponses aux questions suivantes : « comment produire ce que nous consommons et consommer ce que nous produisons » ? Comment aller vers une souveraineté alimentaire au-delà de régler des questions ponctuelles ?
En perspective, les résultats de ce webinaire seront exploités pour produire une note politique. La réflexion sera également poursuivie afin pour répondre à toutes les questions posées ici.