Think tank sur les politiques publiques dans le secteur agricole et rural en Afrique de l’Ouest

Accueil / Actualités / Revue de Presse / lepoint.fr- Covid-19 : « L’Afrique doit revoir son système agricole et (...)

lepoint.fr- Covid-19 : « L’Afrique doit revoir son système agricole et alimentaire »

Publié le 20 avril 2020

ENTRETIEN. Derrière la crise sanitaire et économique causée par le Covid-19 se profile, pour l’Afrique, une crise alimentaire. L’analyse du chercheur Matthieu Brun.

Les conséquences économiques de la pandémie de Covid-19 se font de plus en plus sentir sur le terrain. Si, au départ, les inquiétudes les plus grandes portaient sur le secteur des hydrocarbures, elles se concentrent aujourd’hui sur ceux de l’alimentation et de l’agriculture. Au début du mois, l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et l’Organisation mondiale du commerce (OMC) ont donné l’alerte : le risque de « pénurie alimentaire » est réel. En effet, d’après Qu Dongyu, Tedros Adhanom Ghebreyesus et Roberto Azevedo, directeurs respectifs des trois institutions, « des millions de personnes dans le monde dépendent du commerce international pour leur sécurité alimentaire et leurs moyens d’existence ».

C’est le cas en Afrique. Son système agricole, bouleversé par la colonisation puis par la mondialisation, atteint ses limites. Le continent dépend largement des exportations pour nourrir sa population et avec le coup d’arrêt des échanges occasionné par la lutte contre le coronavirus, la crise alimentaire menace plusieurs pays du continent. Cela dit, la situation, si grave soit-elle, oblige à s’interroger sur les voies et les moyens de changer la donne. Cette crise économique pourrait-elle amorcer l’élaboration d’un nouveau système agricole ? Matthieu Brun, chercheur associé au laboratoire Les Afriques dans le monde (LAM) et responsable des études au Club Demeter, un think tank dédié aux enjeux alimentaires mondiaux, a répondu au Point Afrique.

Le Point Afrique : D’après la Banque mondiale, le continent devrait entrer en récession pour la première fois depuis 25 ans, et ce, à cause de la pandémie du nouveau coronavirus. Que nous apprend cette crise sur le système économique, et plus spécifiquement agricole, de l’Afrique ?

Matthieu Brun : Il y a plusieurs enseignements à en tirer. D’abord, cette crise souligne la grande vulnérabilité du continent, non seulement au niveau sanitaire, mais aussi dans le domaine politique. Les situations diffèrent selon les pays, mais, globalement, on a l’impression d’un décalage entre autorités et populations qui, pour une majorité d’entre elles, vivent du secteur informel et n’ont pas de filet de sécurité sociale. Mais, surtout, la crise liée au Covid-19 met le doigt sur les risques de dépendance de l’Afrique vers l’extérieur. Ils sont grands, car la production de blé ne couvre, par exemple, qu’à peine 10 % des besoins africains.

L’Afrique ne parvient pas à produire ce qu’elle consomme et elle exporte ce qu’elle ne peut transformer (le cacao, par exemple). Donc, le net ralentissement de l’import-export met au défi la situation alimentaire du continent. Certaines régions manquent, par ailleurs, cruellement de stock. En Afrique de l’Ouest, les réserves de riz couvriront seulement deux ou trois mois. Cette situation doit amener l’Afrique à revoir son modèle agricole et alimentaire, qui a trouvé ses limites. Elle ne pourra pas passer à côté d’une réflexion de fond sur le sujet.

La croissance démographique – d’ici à 2050, la population africaine aura doublé, passant de 1,2 milliard d’habitants à près de 2,5 – peut-elle, elle aussi, amener les autorités à opérer une transformation profonde du secteur ?

Dans les années à venir, il y aura effectivement un nombre toujours croissant de bouches à nourrir. Le problème, c’est que la production ne suit pas. La forte croissance économique que connaissent certains États ne tient pas toujours ses promesses, notamment en matière d’emploi. Sur ce point, le secteur agricole pourrait devenir essentiel. Avec la croissance démographique, l’Afrique aura besoin non seulement de plus d’agriculteurs, mais aussi d’ouvriers agricoles employés dans la logistique ou la transformation. La manne du secteur en matière d’emplois est énorme. Dans les pays où l’agriculture constitue une partie importante de l’économie, comme au Niger où le secteur pèse pour 70 % du PIB, le potentiel est très fort.

Quelles sont les autres pistes de réflexion qui pourraient être engagées, selon vous ?

Pour accompagner cette transition, il sera aussi important de réformer le foncier, créer un environnement stable dans ce domaine. Peu d’investissements y ont été faits ces dernières années alors que les fermes africaines se rétrécissent de plus en plus, à, en moyenne, deux hectares. À titre de comparaison, une exploitation agricole en France dispose en moyenne de 63 hectares. Il faudrait augmenter leur superficie en Afrique, sans pour autant les transformer en exploitation industrielle. Car les techniques de production doivent être adaptées au contexte régional. On ne produit pas de la même façon dans un climat tropical que dans un climat équatorial. Il faudra aussi veiller à ce que les systèmes traditionnels ne soient pas mis de côté. En fait, on ne peut établir de stratégie globale à tous les territoires. Il faut une diversité de structures et de systèmes agricoles pour nourrir toutes les demandes.

Les nouvelles technologies pourraient-elles jouer un rôle dans la création d’un nouveau modèle agricole africain ?

C’est un secteur intéressant qui fait déjà ses preuves sur le terrain. Les agriculteurs d’Afrique de l’Est utilisent, par exemple, des applications de mobile money, une pratique devenue courante dans la région. Ils se servent aussi du numérique pour consulter la météo ou les prix des denrées. Beaucoup d’étapes ont déjà été franchies dans ce domaine. Mais je pense que beaucoup d’innovations restent encore à faire sans forcément faire appel aux nouvelles technologies. Avant d’utiliser des drones, il faudrait sécuriser financièrement les agriculteurs et améliorer leurs conditions de travail. La rénovation d’une route commerciale peut, par exemple, leur être bien plus bénéfique.

Source : www.lepoint.fr