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Investissements dans l’agriculture : Mamadou Cissokho donne les raisons de la cassure

Publié le 1er juin 2014

Si les dirigeants des pays d’Afrique de l’Ouest ont arrêté d’investir dans l’agriculture, cela était pour l’essentiel, en raison des diktats des institutions de coopération multilatérales et des bailleurs de fonds, qui ont voulu donner la priorité à la stabilisation du budget, au détriment du bien-être des agriculteurs.

 Et dans le même moment, ces bailleurs de fonds faisaient pour leurs propres paysans, tout ce qu’ils interdisaient à nos dirigeants de faire. Le plus grand leader paysan de l’Afrique de l’Ouest a dénoncé la forfaiture le samedi dernier.

Le développement de l’agriculture dans un pays est une question politique, qui remplit des missions bien précises. Les agricultures africaines ont pris un grand retard depuis les années 1970-1980, lors de la période des ajustements structurels, et ce retard a des effets jusqu’à nos jours. Une forte voix comme celle de Mamadou Cissokho est parfois nécessaire pour dénoncer la situation et camper les faits dans leur contexte.

« Depuis les temps des Pharaons, l’agriculture est d’abord une affaire politique, car il s’agit de l’alimentation des populations. C’est un indicateur de gouvernance que les Peuples utilisent à l’encontre de ceux qui les gouvernent. Tout le monde sait que quand il y a la faim, il y a risque d’émeutes et de renversement de pouvoir. Donc, l’agriculture, l’élevage et la pêche sont des secteurs où il y a d’abord une responsabilité des autorités politiques. » Le président d’honneur du Cncr et de l’Asprodeb a ainsi campé la portée des débats lors du panel organisé avant-hier, sur les investissements agricoles, par son Conseil national de concertation et de coopération des ruraux, en collaboration avec l’Initiative prospective agricole et rurale (Ipar), un think tank sénégalais de réflexions sur les questions agricoles et rurales.

Depuis quelques années, les organisations paysannes au Sénégal et en Afrique de l’Ouest répètent en leitmotiv que les exploitations familiales seraient en mesure de nourrir leurs populations si elles étaient placées dans des conditions optimales de production. Cela ne devrait pas être étonnant, si l’on en juge par les potentialités agricoles de certains pays dans la zone Uemoa par exemple. Le Sénégal est connu pour son importante production d’arachide, la Côte d’Ivoire est la tête d’affiche en matière de production de café et de cacao, tandis que des pays comme le Mali, le Burkina et le Bénin sont connus pour battre au rythme de la production de leur coton. Néanmoins, on a remarqué également que ces performances dans les cultures d’exportations ne sont pas atteintes quand il s’agit de produire des cultures vivrières, qui permettraient d’assurer la souveraineté alimentaire des pays.

Mais à cela aussi, Mamadou Cissokho a une réponse : « Nous avons vécu quelque chose qui ne peut pas ne pas être posé sur la table. L’ajustement structurel a tordu la main de nos gouvernants et les a obligés à sortir les investissements de notre agriculture. Mais cela n’était pas gratuit. C’est une période où il y avait la surproduction de l’autre côté du monde, avec des magasins pleins. Il fallait donc leur trouver une solution, parce que cela coûte cher de stocker des produits. Et cela a duré 20 ans ; au cours desquels on nous a parlé de Nouvelle politique agricole, de moins d’Etat mieux d’Etat, pour ne pas dire tout simplement : « Débrouillez-vous ! »

Cadres détournés de la Fonction publique

Les ajustements structurels n’ont pas seulement empêché les investissements dans l’agriculture. Tous les programmes de recherche agricole et rural menés à partir des pays africains ont été soit interrompus faute de financement, soit réduits de manière drastique. C’était la belle époque où nos gouvernements devaient appliquer les amères recettes des enfants du Dr. Bretton Woods, le Fmi et la banque mondiale, qui ne voyaient de salut que dans une stricte discipline budgétaire, quitte à sacrifier de nombreux programmes sociaux-économiques. Aujourd’hui, Mamadou Cissokho dénonce : « Ceux qui ont proposé cela, que faisaient-ils chez eux ? Leurs paysans étaient payés pour produire ; payés pour ne pas produire ; payés pour stocker. Ils étaient payés pour exporter. Et ce sont eux qui ont dit qu’il ne fallait pas subventionner l’agriculture chez nous. C’est un contexte qui a duré 20 ans. Imaginez 20 ans dans des pays sahéliens, juste après la sécheresse de 1973 et des années suivantes. Les services techniques publics ont un rôle fondamental dans l’accompagnement de l’agriculture. Les bailleurs de fonds, dirigés par la Banque mondiale, ont vidé nos ministères en prenant tous les bons cadres pour en faire des responsables de projets. Et en leur donnant dix fois leur salaire de la Fonction publique. La seule ambition de ces cadres, c’était de faire en sorte que le projet se pérennise, pour qu’ils puissent continuer de percevoir leur gros salaire. ».

Le gouvernement du Sénégal, qui cherche aujourd’hui à relancer son secteur agricole pour en faire le moteur du développement du pays, a besoin d’en finir avec les pratiques héritées des années de crise. Ce faisant, il va prendre également des décisions politiques, allant dans le sens de favoriser le développement des exploitations familiales, ou l’agro-industrie. Quel-le que soit la direction pour laquelle il va opter, elle aura des conséquences certaines dans l’orientation socio-politique de tout le pays.

Source : http://www.lequotidien.sn/index.php...