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L’agriculture une alternative pour que le chômage des jeunes ne continue d’être une bombe à retardement

Publié le 1er avril 2015

Un article du Dr Ibrahima Hathie publié dans le réseau Southern Voices.

Le chômage des jeunes devient de plus en plus une menace pour la stabilité et la paix en Afrique sub-saharienne. En effet, la bonne croissance économique observée récemment dans de nombreux pays africains n’a pas eu d’impact sur le développement des opportunités d’emploi pour les jeunes générations.

En fin Janvier 2014, le Centre Canadien de recherches pour le développement international (CRDI) et l’initiative Think Tank IPAR, basée à Dakar, ont invité plus de 100 décideurs, chercheurs, ONG et représentants d’organisations de jeunesse à participer à une conférence internationale intitulée « Mettre les jeunes au travail en Afrique subsaharienne » pour réfléchir et partager leurs expériences sur les options possibles pour une solution durable au problème du chômage des jeunes. Cette conférence a été organisée en partenariat avec la Commission de l’UEMOA, la Banque Africaine de Développement, le Partenariat pour les Politiques Économiques (PEP) et l’OCDE.

Il est évident que la question du chômage des jeunes est partout d’actualité, même si l’Afrique est un continent très diversifié. Cet article analysera le cas du Sénégal pour mieux comprendre comment ce problème peut affecter la stabilité d’un pays.


Des statistiques révélatrices d’une forte croissance démographique et augmentation de la population active au Sénégal

En 2013, la population du Sénégal a été estimée à 12,9 millions avec un taux de croissance annuel moyen de 2,5% au cours des 10 dernières années. Selon les projections des Nations Unies, la population devrait atteindre le chiffre de 20 millions en 2030. Cette croissance est marquée par deux caractéristiques majeures : 1) la population sénégalaise actuelle dominée par les jeunes dont la moitié a moins de 18 ans et 2) un changement important dans la structure démographique de cette population qui évolue en prenant de l’âge, ce qui entraine une augmentation significative de la main-d’œuvre.

Au Sénégal, la main d’œuvre (par exemple la population active) représente 64,8% de la population totale. Le secteur rural, qui représente 55% de la population sénégalaise, constitue 54% de cette main-d’œuvre. Suivant la tendance qui reste constante en Afrique sub-saharienne, la population active continuera d’augmenter jusqu’en 2050 ou même au-delà. Le nombre de jeunes travailleurs qui intègrent le marché de l’emploi chaque année (10% de la tranche d’âge des 15-24 ans) est actuellement estimé à 269 000 personnes. Il atteindra 376 000 en 2025 et 411 000 en 2030. Selon les estimations, le secteur formel crée au minimum plus de 30 000 emplois chaque année.

Cette grande population de jeunes représente l’un des plus grands atouts du Sénégal au plan national ; cependant c’est un atout qui pose encore le problème de l’offre d’emploi qui est un défi à relever. Ainsi, la question fondamentale réside, pour l"économie dans la capacité à absorber cette main d’œuvre. Sinon, une masse de jeunes chômeurs peut conduire à une instabilité politique chronique dans un contexte de mondialisation où les jeunes ont d’autres repères hors de leurs pays.

Sources d’opportunités d’emploi

L’économie sénégalaise est dominée par les activités des secteurs agricole et informel qui génèrent 92% des emplois traditionnels et auto-emplois, dont les 64% sont des emplois informels qui existent dans les zones rurales (Faye et al., 2007). Une étude récente de l’Agence nationale de la statistique a confirmé cette tendance et a révélé que le secteur primaire (agriculture, élevage et pêche) offre plus d’opportunités avec 48,5% de la main d’œuvre tandis que le secteur industriel et celui des services absorbent respectivement 12,1% et 26,3%. La majorité de la population active du secteur primaire se trouve dans l’agriculture.

Cependant, la faible productivité agricole actuelle est un sérieux handicap qui entrave la capacité du secteur à fournir des emplois adéquats. En effet, 53% de la population active travaille dans le secteur agricole qui ne génère que 16% du PIB. La productivité du secteur agricole est environ cinq fois plus faible que celle des secteurs de l’industrie et des services. Les nouveaux emplois créés dans le secteur formel sont anecdotiques compte tenu des énormes besoins annuels. Le secteur formel - public et privé - ne représente que 4% des emplois existants. La cause première de cette situation est que l’urbanisation n’a pas stimulé l’industrialisation. En conséquence, une cohorte de jeunes, en majorité des jeunes en provenance des zones rurales, vivent dans les banlieues avec un faible espoir d’accéder à un emploi rémunéré.

La réalité du chômage des jeunes

Le chômage touche, d’abord et avant tout, la couche la plus jeune de la population active (15-35 ans). Le taux de chômage des jeunes travailleurs en 2011 a été estimé à 12.7%, tandis que le taux de chômage global était de 10,2%. Parmi ces jeunes, les femmes sont plus affectées par le chômage que les hommes. À l’échelle nationale, sur un total de 100 jeunes sans emploi, les 71 sont des femmes.

Le taux de chômage des diplômés de l’université est particulièrement élevé et est passé à 31% en 2011, comparé à 16% en 2005. Ce qui est le plus inquiétant demeure le taux de chômage global de la population, y compris celui des plus jeunes. Parmi les jeunes travailleurs, 32 font face à la difficulté du sous-emploi, ce qui signifie qu’ils travaillent moins d’heures que nécessaires pour assurer leur subsistance et cherchent un autre emploi pour améliorer leur revenu. En outre, le marché du travail pour les jeunes est dominé par la main d’œuvre non-qualifiée et la majorité des jeunes est engagée dans des activités agricoles.

Parmi les jeunes sans-emploi, 46% sont illettrés et 28% n’ont suivi que l’enseignement primaire. Ce manque d’éducation et de compétences crée un défi majeur pour les décideurs politiques dans leurs stratégies d’inclusion des jeunes. Il ne s’agit pas seulement de développer l’économie pour régler la question du chômage des jeunes ; mais bien plus nous devons prendre en compte la qualité des ressources humaines. Autrement dit, les changements économiques à prévoir pourraient exclure la majorité des jeunes, exacerbant ainsi une demande sociale et économique qui pourrait contribuer à déstabiliser le pays.

Les limites des réponses politiques et solutions alternatives

Plusieurs programmes axés sur la promotion de l’emploi des jeunes ont été menés au cours des dernières décennies pour améliorer l’insertion professionnelle, l’accès au financement et l’accès à l’information sur le marché de l’emploi. Malheureusement, ces initiatives n’ont pas encore produit les résultats escomptés. La multiplicité ambiguë des institutions chargées de la promotion, du financement et de la mise en œuvre des projets et programmes d’emploi des jeunes, ainsi que le manque d’harmonisation des procédures de ces institutions, a créé des dysfonctionnements préjudiciables quant à l’efficacité de ces interventions. En outre, la mauvaise gestion financière a largement contribué à la nature précaire et non durable des programmes de création d’emplois pour les jeunes.

Compte tenu de la nature complexe du problème, plusieurs éléments doivent être pris en compte pour résoudre la question du chômage des jeunes. Tout d’abord, les politiques sur la jeunesse, visant à réduire le taux de chômage et accroître les opportunités d’emploi, nécessitent une approche holistique. Du fait que le secteur agricole absorbe la majeure partie de la main-d’œuvre, les politiques ciblant l’emploi des jeunes doivent aussi tenir compte de ces réalités structurelles. L’agriculture est une excellente source de création d’emplois pour les jeunes ; grâce à une approche de chaîne de valeur, il est possible de générer plusieurs opportunités d’emploi. Cependant, il y a un besoin urgent de transformer les agriculteurs en entrepreneurs qui réussissent. Pour ce faire il faudra nécessairement prendre des mesures pour moderniser le secteur et ainsi obtenir de meilleurs résultats dans la production, la productivité et plus de revenus.

Ensuite, étant donné que la récente croissance économique au Sénégal n’a pas conduit à la création d’emplois pour les jeunes, il est impératif de concevoir des stratégies de croissance ciblant les secteurs-clés de développement qui génèrent des emplois. Outre le fait de prioriser l’agriculture comme un levier de développement, l’industrie extractive, l’agro - industrie et l’industrie manufacturière sont des niches à exploiter dans un diagnostic approfondi. En outre, compte tenu de sa taille et de sa portée, le secteur informel ne doit pas être laissé pour compte.

Enfin, les jeunes exigent une formation adaptée à leurs besoins, l’accès à l’information et au capital. Le défi pour les gouvernements est de trouver des moyens de fournir tous ces éléments essentiels à un coût abordable. En fin de compte, la capaiation de la jeunesse à travers des mécanismes de soutien spécifiques est inévitable si on trouve des solutions efficaces au chômage des jeunes. Surtout, nous devons leur permettre de s’exprimer, car ils font partie intégrante du processus politique.

Le rapport de l’étude :


Dr Ibrahima HATHIE est Directeur de Recherche à l’Initiative Prospective Agricole et Rurale (IPAR) au Sénégal, qui est un partenaire de Southern Voices Network (Réseau Voix du Sud).
http://africaupclose.wilsoncenter.org/author/ibrahima/