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La Conférence internationale sur l’eau de New York : reflet de nos ambitions fragmentées ou source d’un réveil politique ?

Publié le 4 mai 2023

Cinq décennies après la Conférence sur l’eau en 1977 à Mar del Plata, les choses ont-elles fondamentalement changé ? Pour rappel, l’enjeu était de prévenir une future crise en améliorant l’accès à l’eau potable, l’assainissement et en modifiant les usages. Certains pays, notamment parmi ceux en développement, militaient pour un accès à des financements pour développer des infrastructures adaptées et pour anticiper la crise de l’eau que beaucoup de scientifiques prévoyaient déjà du fait des changements climatiques. Les pays riches, avaient alors répondu par une offre d’étude sur le développement et le financement de projets hydrauliques.[1]

Même si dans beaucoup de pays en développement, des progrès significatifs ont été faits au cours des deux dernières décennies dans le domaine de l’accès à eau potable, force est de constater que les objectifs de l’ODD6 ne seront pas atteints en 2030, que ce soit avec le niveau de développement actuel ou les engagements et réflexions abordées à cette conférence. Le gaspillage, la surutilisation, la pollution et la crise climatique et environnementale, les conflits et leurs corollaires conduisent à de graves pénuries et crises. Aujourd’hui la question de la gestion de l’eau n’a donc jamais été aussi fondamentale et centrale à la fois ; même les pays riches en ressources en eau qui se sentaient jusque-là en sécurité sont de plus en plus menacés par les extrêmes climatiques. De plus, l’eau est un facteur récurent de l’ensemble et de la variété des crises actuelles : sanitaires, sécuritaires, alimentaires, énergétiques, sociales et environnementales.

Les pays développés, en particulier ceux du Nord, commencent à entrevoir les premières répercussions majeures du changement climatique sur les ressources en eau dans leur territoire. Les épisodes climatiques extrêmes, plus récurrents et plus violents depuis quelques années, donnent déjà un aperçu des défis liés à l’usage de l’eau dans un monde qui se réchauffe.

La Conférence reconnait que l’eau douce est une ressource limitée qui doit être considérée comme un outil du développement durable et nous permettre d’intensifier la résilience et l’atténuation aux changements climatiques. Nous devons pour ce faire renforcer nos capacités d’alerte rapide et révolutionner la manière dont les pays sont équipés pour faire face aux sécheresses et aux inondations, tout en tirant parti des partenariats. C’est du reste pourquoi dans son allocution M. Guterres rappelle que tous les espoirs de l’humanité reposent, d’une manière ou d’une autre, sur notre capacité à fixer un nouveau cap fondé sur la science pour donner vie au Programme d’action pour l’eau. Ils reposent sur la mise en œuvre des engagements décisifs, inclusifs et concrets pris par les États Membres et d’autres parties lors de cette conférence.

Aujourd’hui, plus de 700 engagements ont été retenus. Seulement, il y’a de réels doutes qu’ils soient à la hauteur des enjeux pour atteindre l’ODD 6. Ils constituent un programme d’actions complètement disparates et non contraignantes. Bien loin de la réponse collective, coordonnée et stratégique attendue des États face à la crise de l’eau.

Il est clairement apparu au cours des débats que le monde ne peut plus attendre plusieurs décennies pour que la communauté des états se préoccupe du positionnement politique de la gestion. La crise est bel et bien là et nous la vivons. Résoudre la crise nécessite la concertation et le dialogue entre tous les nouveaux acteurs de la communauté de l’eau que sont : les humanitaires, les financiers et économistes, militaires, les organisations religieuses et de la société civile mais aussi et surtout les jeunes et les femmes qui dans les pays en développement contribuent très largement aux corvées d’eau. Ces voix, dont celle de la jeunesse, sont de plus en plus présentes dans les forums de l’eau. Cette tendance s’est confirmée à la Conférence de New York et marque une évolution positive d’une communauté qui s’élargit.

Face aux défis à la fois multiples et complexes de l’eau, auxquels le monde fait présentement face, la mise en place d’un envoyé spécial de l’ONU sur l’eau est devenue une nécessité et le processus doit être accéléré.

Nous aimerions que l’envoyé spécial ait un mandat politique qui lui permette d’interpeler les États sur des enjeux d’eau et de convoquer des réunions intergouvernementales régulières. Dans l’idéal, il faudrait qu’il puisse examiner certaines situations particulières, par exemple des cas de violation des droits humains à l’eau et l’assainissement, des allégations d’attaques armées sur les services essentiels liées à l’eau, des compétitions entre États ou usagers autour du partage des ressources en eau. Son travail permettrait de renforcer les instruments existants mais encore déficients du droit international.

L’envoyé spécial devra jouer un rôle clé dans le suivi des engagements pris au cours de la conférence. Il devra être un « champion de l’eau », qui incarne la thématique et la rende très visible au niveau de l’ONU, en particulier dans les autres espaces politiques qui traitent indirectement de l’eau (agriculture, santé, commerce, environnement, etc.). L’objectif serait d’éviter que nous nous retrouvions dans des situations comme dans le cadre de l’Accord de Paris sur le climat où l’eau ne figure pas dans le texte alors qu’elle est le principal vecteur par lequel nous ressentons les effets du changement : inondations, sécheresse, évolutions des précipitations, etc. Il devra aussi s’assurer auprès des bailleurs et des pays que les engagements financiers en faveur des pays en développement sont respectés et que les pays bénéficiaires respectent également les règles de transparences de gestion financière.[2] Il est aussi attendu de l’envoyé spécial qu’il travaille avec les pays et les organisations de bassins sur la nécessité de renforcer la coopération transfrontalière pour la paix et le développement[3] et aussi sur la protection des infrastructures hydrauliques qui présentent des risques certains dans les zones de conflits.[4] En cela, le mandat de l’envoyé spécial sur l’eau devra se situer à la croisée des trois grands agendas mondiaux que sont la paix, le développement et l’humanitaire.

Signe d’une prise de conscience croissante du caractère vital et irremplaçable de l’eau, le thème de la paix est porté par une coalition d’acteurs qui s’élargit. Le rapporteur spécial sur le droit humain à l’eau et l’assainissement proposera un éclairage sur le thème de l’eau et la paix dans son prochain rapport à l’Assemblée Générale de l’ONU[5]. ONU-Eau en fera le thème du Rapport mondial des Nations Unies sur la mise en valeur des ressources en eau en 2024.

On peut voir, dans cette aspiration à la paix, les prémisses des bouleversements systémiques que provoquent le changement climatique et le cumul des pollutions affectant la ressource. Désormais, nul n’est à l’abri des problèmes d’insécurité hydrique. Nous entrons dans une ère d’imprévisibilité où chaque Etat et chaque acteur de la coopération dans le domaine de l’eau peut apprendre de l’autre sur les pratiques institutionnelles à l’épreuve de l’adversité[6]. Une nouvelle culture politique du partage de l’eau et de sa préservation est à inventer, une culture à l’écoute des savoirs traditionnels et des acteurs de la résilience des territoires. Espérons que ces échanges sur notre rapport à l’eau renforcent notre conscience d’une appartenance commune à l’espèce humaine au fondement de la création de l’ONU. La diplomatie de l’eau, voie dessinée par le Panel mondial de haut niveau sur l’eau et la paix, a un rôle déterminant à jouer pour y parvenir.[7]

Boubacar Barry PhD. PE., Dr Madiodio Niasse, François Münger, Caroline Pellaton, Jean Willemin.

Pole Eau Dakar : https://pole-eau-dakar.org/
Geneva Water Hub : https://www.genevawaterhub.org/

Références :

Références :

“Missing the “Peace” piece of the Water Puzzle”, Global Observatory for Water and Peace uses this brief for the 2023 UN Water Conference, 2023. A lire ici.

« Enjeux émergents de gestion des eaux partagées en Afrique : Comprendre pour prévenir les conflits et renforcer la coopération pour le développement durable et la paix », Dr. Madiodio Niasse et al., Pôle Eau Dakar, 2022. A lire ici.

Boubacar Barry PhD. PE.

Dr Boubacar Barry est titulaire d’un doctorat de Purdue University (États-Unis). Il a 42 ans d’expérience dans la recherche dans les domaines de la conservation de l’eau et des sols au service d’organisations tels que l’ISRA, le PNUD, la FAO, l’USAID et IWMI. Ses recherches portent sur les domaines de l’hydrologie, de l’hydrogéologie, de l’irrigation et du drainage. Son travail est soutenu par son expertise en SIG, modélisation numérique et stochastique et systèmes experts. De 2010 à 2017, M. Barry a été mis à la disposition du WASCAL (Centre Ouest Africain des Services sur le Climat et l’utilisation adaptée des terres) comme Directeur de Recherches et Directeur du Centre de Compétence basé à Ouagadougou. Il a, tout au long de sa carrière, appuyé des structures en tant que conseiller scientifique tels que le CNCR (Conseil national pour la consultation rurale), la ROPPA (Réseau des agriculteurs et producteurs d’Afrique). Dr. Barry est aussi chercheur associé à IPAR un groupe de réflexion basé à Dakar travaillant dans le développement rural en Afrique et, depuis novembre 2019 à mars 2022, il a assisté le Secrétariat exécutif du 9e Forum mondial de l’eau à Dakar sur les thèmes « Eau et développement rural » et « Eau et coopération ». Il est également depuis novembre 2017 Président du Comité technique des experts du GWP-AO (Partenariat Mondial de l’Eau -Section Afrique).

Dr Madiodio NIASSE

Dr Madiodio NIASSE est géographe-environnementaliste. Il a travaillé comme chercheur avec l’IDA (Institute for Development Anthropoly) et plus tard avec l’IRD. Il a aussi entre autres servi comme expert à la Commission Mondiale des Barrages (Cape Town). Après avoir occupé, de 2008 à 2014, le poste de Directeur de l’International Land Coalition (c/o FIDA à Rome), Dr Niasse est aujourd’hui consultant indépendant basé au Sénégal.

François Münger – Conseiller, ancien directeur général – Geneva Water Hub

François Münger est titulaire de masters en minéralogie et géophysique (Univ. de Lausanne), en hydrologie (Univ. de Neuchâtel) et en ingénierie environnementale (EPFL). Son expérience s’étend à toute une série d’institutions privées et publiques en Suisse, en Afrique, en Amérique latine, en Asie centrale et en Europe de l’Est. Il a notamment été chef du programme sur l’eau en Amérique centrale pour la Direction suisse de la coopération et du développement (DDC) et spécialiste principal de l’eau à la Banque mondiale. Après avoir dirigé le programme mondial de l’eau de la DDC pendant les huit dernières années, François a reçu le titre d’envoyé spécial de la Suisse pour l’eau et s’est vu confier la responsabilité de la création et du développement du Geneva Water Hub.

Caroline Pellaton –Corporate Operations Manager – Geneva Water Hub

Caroline Pellaton est titulaire d’un doctorat en sciences de la terre de l’Université de Genève. Elle a rejoint le Geneva Water Hub en juin 2018 en tant que manager opérationnel et membre du comité de direction. Elle contribue à définir les stratégies et les orientations du GWH et à suivre les réalisations et la mise en œuvre des activités. Elle contribue plus spécifiquement à certaines lignes thématiques, comme la protection des infrastructures en eau dans les conflits armés ainsi qu’aux activités de plaidoyer pour l’eau et la paix. Avant de rejoindre le Geneva Water Hub, elle a travaillé pendant plus de 10 ans en tant que responsable de programme au niveau national au sein de l’unité Eau et Habitat du Comité international de la Croix-Rouge dans des situations d’urgence et d’après-conflit, dans des contextes variés tels que le Sri Lanka, le Niger, la République du Sud-Soudan, la République centrafricaine, le Yémen et la Jordanie.

Jean Willemin – Chargé de programme senior – Geneva Water Hub

Jean Willemin est titulaire d’un master en sociologie et d’un Certificate of Advanced Studies en gestion et politique de l’eau de l’Université de Genève. Avant de rejoindre le Geneva Water Hub, il a travaillé dans le domaine des droits de l’homme, à la fois pour des organisations internationales et des ONG, avec s’engage depuis une décennie sur les questions de gouvernance de l’eau. En outre, il est spécialisé dans les méthodes de facilitation qu’il pratique auprès d’organisations internationales, des ONG et des administrations publiques. Au Geneva Water Hub, il est en charge d’un dialogue régional sur l’eau comme vecteur de paix en Afrique de l’Ouest.

[1] Robert Stein ; Revue Nature 1977

[2] From Mar del Plata to the UN 2023 Water Conference : where do we go ? (UN 2023 Water Conference Side Event) https://media.un.org/en/asset/k17/k177iyahiu

[3] Committing to advance transboundary water cooperation worldwide for sustainable development, climate action, stability and peace (UN 2023 Water Conference Side event) https://media.un.org/en/asset/k1x/k1xtminywa

[4] Arria-Formula meeting on Protection of Civilians/Water (UN Security Council) https://media.un.org/en/asset/k12/k12fk313uv ; Sparing water systems in armed conflicts (UN 2023 Water Conference Side Event) https://media.un.org/en/asset/k1k/k1kd0cludk ;

[5] Appel à contributions du Rapporteur spécial sur les droits à l’eau et à l’assainissement ouvert jusqu’au 26 mai 2023 pour le Rapport thématique à la 78ème session de l’Assemblée générale des Nations unies ” Les droits à l’eau et à l’assainissement comme outil de paix, de prévention et de coopération . A lire ici.

[6] Sharing Water in Fragile Contexts : Lessons from the Sahel (UN 2023 Water Conference Side Event) https://media.un.org/en/asset/k1w/k1wn1qppj1

[7] https://www.genevawaterhub.org/resource/matter-survival

Source : https://defishumanitaires.com/2023/04/28/la-conference-internationale-sur-leau-de-new-york-reflet-de-nos-ambitions-fragmentees-ou-source-dun-reveil-politique/