Accueil / BLOG / La pandémie de la COVID-19 : une légitimation de la promotion de (...)
La pandémie de la COVID-19 : une légitimation de la promotion de l’agriculture urbaine
Publié le 29 avril 2020
La crise sanitaire provoquée par le COVID-19 a été suivie par des mesures fortes telles que la restriction de la mobilité des personnes et la limitation de l’accès aux marchés, etc. Si ces mesures visent à endiguer la propagation de la maladie à coronavirus, elles influencent en même temps l’accès à l’alimentation pour les populations. Dans ce contexte, l’agriculture urbaine constitue un filet de sécurité alimentaire et nutritionnelle pour les populations urbaines.
Depuis la confirmation du premier cas de maladie à coronavirus 2019, communément appelée COVID-19 (COronaVirus Infectious Disease-19 en anglais), confirmé en Chine le 17 novembre 2019, la maladie a continué de progresser de manière fulgurante à travers le monde à tel point qu’on parle désormais de pandémie qui a causé 217 555 de morts dont 1 529 morts en Afrique à la date du 29 avril 2020. Détectée au Sénégal le 02 mars 2020, les autorités ont recensé, à la date du 29 avril 2020, 882 cas confirmés dont 315 guéris, 9 décès, 1 évacué et, donc, 557 patients encore sous traitement (https://covid19.sec.gouv.sn/).
A l’instar des autres Etats du monde, le Gouvernement du Sénégal a pris des mesures exceptionnelles telles que l’instauration du couvre-feu, l’interdiction de la mobilité entre les régions, des regroupements de personnes, la fermeture des écoles et des universités, la fermeture des marchés forains, la fermeture avancée des marchés urbains, etc. Si ces mesures visent à contenir la propagation du COVID-19, elles constituent, par ailleurs, un frein au bon déroulement des activités économiques. C’est sans doute pour cette raison que le Programme de Résilience Economique et Social (PRES) a été élaboré pour renforcer la résilience des populations et garantir la stabilité économique et financière du pays.
Dans ce contexte, toutes les options politiques sont à examiner, y compris la promotion de l’agriculture urbaine. L’objectif de cette contribution est de souligner la nécessité de sécuriser l’agriculture urbaine pour ses multiples fonctions, notamment en période de crise, comme nous le rappelle la pandémie du COVID-19 et ses « implications alimentaires et nutritionnelles  » sur les populations urbaines (Thiam et Niang, 2020). Pour ce faire, on peut émettre l’hypothèse que, du fait de son caractère multifonctionnel et proche des marchés urbains, l’agriculture urbaine constitue un filet de sécurité alimentaire et nutritionnelle des populations urbaines dont l’approvisionnement est directement compromis par les mesures de restriction de la mobilité des personnes aussi bien au niveau national qu’international. Pour vérifier cette hypothèse, nous dirons d’abord qu’est-ce qu’on entend par agriculture urbaine, ensuite nous montrerons en quoi elle est une soupape de sécurité alimentaire et nutritionnelle pour les populations urbaines, en plus, nous exposerons les principales menaces qui pèsent sur l’agriculture urbaine malgré son importance dans la ville à tout moment et, enfin, nous proposerons une stratégie d’action pour maintenir et sécuriser l’agriculture urbaine au-delà des moments de crise.
Qu’est-ce que l’agriculture urbaine ?
Au prime abord, l’association des termes agriculture et ville paraît antinomique. Mais la pratique de l’agriculture en ville est devenue une réalité aujourd’hui. L’agriculture urbaine peut être définie comme « l’activité dont les ressources ou les produits peuvent faire l’objet d’une utilisation urbaine  » (Moustier et Pagès, 1997, p. 48). Mais, elle peut être considérée comme une « agriculture localisée dans la ville et à sa périphérie, dont les produits sont destinés à la ville et pour laquelle il existe une alternative entre usage agricole et urbain non agricole des ressources ; l’alternative ouvre sur des concurrences, mais également sur des complémentarités entre [différents usages]  » (Moustier et Mbaye, 1999, cités par Smith et al, 2004, pp. 27-28).
Quant à la FAO, elle a proposé une autre définition qui prenne en compte les critères de situation géographique, de marché urbain de proximité, de diversité des produits, de concurrence et de complémentarité autour des ressources entre usages agricoles et non agricoles urbains mais aussi l’agriculture urbaine est élargie à des productions non alimentaires. En effet, « l’agriculture urbaine et périurbaine (AUP) consiste à cultiver des plantes et à élever des animaux à l’intérieur et aux alentours des villes. L’AUP fournit des produits alimentaires de divers types de cultures (graines, plantes racines, légumes, champignons, fruits), des animaux (volailles, lapins, chèvres, moutons, bétail, cochons, cochons d’Inde, poissons, etc.), ainsi que des produits non alimentaires (herbes aromatiques et médicinales, plantes ornementales, produits forestiers, etc.). Elle comprend la sylviculture pour la production de fruits et de bois de feu, ainsi que l’agroforesterie et l’aquaculture à petite échelle  » (http://www.fao.org/urban-agriculture/fr/).
L’agriculture urbaine : un filet de sécurité alimentaire et nutritionnelle dans les villes surtout en temps de crise…
L’ancien Ministre de l’Agriculture et de l’Equipement rural du Sénégal, académicien des sciences agricoles et actuel ambassadeur du Sénégal à Rome, Docteur Papa Abdoulaye Seck, a produit une note de réflexion stratégique sur les besoins alimentaires de la population africaine en contexte de confinement dans laquelle il recommande, entre autres, de « développer l’autoconsommation en milieu urbain par la promotion de l’agriculture urbaine et périurbaine  ». En effet, cette option est pertinente pour des raisons que nous développons ici. Compte tenu de l’état actuel des performances des politiques publiques agricoles du Sénégal, on peut dire sans risque de se tromper que l’objectif politique affiché, depuis l’indépendance en 1960 jusqu’à nos jours n’est pas encore atteint malgré d’importants efforts consentis et les progrès réalisés dans ce sens (Tounkara, 2015). Donc, la pratique de l’agriculture urbaine peut être considérée comme une agriculture qui vient en renfort pour compléter l’agriculture rurale (Fages et Bricas, 2017). Elle peut cesser d’être nécessairement perçue comme une activité qui entrave l’urbanisation de la ville. D’autant plus que l’agriculture urbaine constitue une soupape de sécurité pour une frange de la population urbaine, en termes de création d’emplois, de revenus, d’autoconsommation et d’amélioration de la sécurité alimentaire et nutritionnelle (Karanja et Njenga, 2011). En d’autres termes, l’agriculture urbaine contribue à lutter contre la pauvreté et la faim dans les couches sociales les plus démunies qui sont les éprouvées en temps de crise (Bricas et Seck, 2004) et exposées à des risques d’insécurité alimentaire et nutritionnelle comme nous le rappelle la crise sanitaire liée à la pandémie du COVID-19.
Par ailleurs, il est utile de rappeler que la forte croissance démographique des villes (africaines) est aussi alimentée par l’exode rural (un autre signe de la défaillance des politiques publiques agricoles dans le maintien des populations rurales dans leurs terroirs grâce à une agriculture forte, diversifiée et assez rémunératrice). Or, la plupart de ces exilés ruraux (pour des raisons économiques et climatiques), à défaut de réussir à s’insérer dans le tissu industriel urbain, se rabattent sur leur activité d’origine c’est-à -dire l’agriculture mais en ville. Dans le système maraîcher de Dakar, les employés sont, pour une grande majorité, venus des campagnes sénégalaises voire de la sous-région pour trouver refuge dans l’agriculture urbaine.
Ce qui prouve que les considérations économiques (et alimentaires et nutritionnelles) sont de plus en plus importantes dans la pratique de l’agriculture urbaine (Donadieu, 2003). En effet, des études ont montré que les crises alimentaires de 2008 et 2011 (Hochedez et Le Gall, 2011) ont négativement impacté le pouvoir d’achat des ménages, surtout en milieu urbain. Les ménages qui dépendent le plus du marché pour leur alimentation ont été les plus affectés au point de coaliser la mobilisation et la contestation sociales autour de leurs zones de résidence (Magha, 2018). Cette contribution économique, alimentaire et nutritionnelle de l’agriculture urbaine n’est plus à démontrer dans les périodes de crise sanitaire, économique, financière et alimentaire qui sont souvent mises à profit pour aménager des espaces agricoles en milieu urbain, sous plusieurs formes, pour des raisons économiques et des besoins alimentaires et nutritionnels. Elle est, une fois de plus, rappelée par la pandémie du COVID-19.
Une agriculture urbaine pourtant fortement menacée
En dépit de son utilité cruciale, surtout en période de crise, la croissance démographique et urbaine et ses corollaires font planer des risques non négligeables sur le maintien de l’agriculture en ville. La région de Dakar se taille la part du lion de la population sénégalaise avec 23,2% sur uniquement 0,3% de la superficie du territoire national, soit une densité de 5 735 habitants au kilomètre carré (contre 65 à l’échelle nationale) et un taux d’urbanisation de 96,4% (contre 45,2% au niveau national) (ANSD, 2014, p. 65).
Cette croissance démographique des villes a nécessairement des impacts sur le foncier et l’eau (Guèye et al, 2009) dont les usages non agricoles (domestiques, industriels, infrastructures socio-économiques de base) concurrencent directement les usages agricoles (foncier agricole, eau d’irrigation). Ainsi, l’extension de la ville d’Accra fait perdre chaque année 2 600 hectares de terres à l’agriculture en ville (FAO, 2010a). Les surfaces agricoles ont baissé de 25 à 62% selon les zones à Cotonou, entraînant ainsi la reconversion d’actifs agricoles (Kakai et al, 2010). Il en est de même à Dakar entre 1985 et 1993, une période pendant laquelle les surfaces en fruits et légumes ont reculé de 6% alors qu’au niveau de la Patte d’Oie, les surfaces agricoles ont déjà chuté de 142 hectares en 1930 à environ 12 hectares à cause de la progression de l’habitat (Diao, 2004). Aujourd’hui la petite et la grande couronne parisienne, autrefois zones de maraîchage approvisionnant Paris et sa région, sont englouties par la forte dynamique de l’urbanisation (Rouquette, 2017).
La croissance démographique des villes a aussi des impacts sur la disponibilité et l’accès à l’eau pour l’irrigation des cultures, surtout dans un contexte de changement climatique qui contribue à la perturbation du cycle pluviométrique mais aussi à la baisse du niveau de la nappe phréatique qui est exploitée par les maraîchers urbains de Dakar (cèanes) à des fins agricoles. Cette situation crée une tension entre l’eau de consommation humaine et l’eau d’irrigation à tel point que certains agriculteurs urbains sont soumis à un système de quota pour rationaliser l’approvisionnement d’eau potable (Tounkara, 2017). Pendant les situations de pénurie d’eau, les agriculteurs urbains de Dakar sont tout simplement sevrés d’eau potable au profit des usages domestiques non agricoles, compromettant ainsi la productivité des exploitations maraîchères.
Cependant, certains agriculteurs se rabattent sur les eaux usées traitées (Farinet et Niang, 2004) mises à leur disposition moyennant un montant.
Tout compte fait, il est indéniable que l’agriculture urbaine contribue particulièrement à la sécurité alimentaire et nutritionnelle des populations mais elle est, en même temps, soumise à de fortes pressions qui menacent sérieusement son avenir en ville. De ces éléments factuels, la promotion de l’agriculture urbaine tire sa légitimité politique.
Pour une promotion structurelle de l’agriculture urbaine au-delà des crises
En se fondant sur les multiples fonctionnalités de l’agriculture urbaine dont l’approvisionnement des villes, non pas spécifiquement en temps de crise mais aussi en temps normal, il est préférable de la promouvoir dans le cadre d’une politique alimentaire territorial qui s’inscrit dans une logique d’agriculture de renfort, de complémentarité pour atteindre la sécurité alimentaire et nutritionnelle en ville au premier rang de laquelle se positionne évidemment l’agriculture rurale. Pour mettre en Å“uvre cette orientation stratégique, il est nécessaire de disposer d’évidences scientifiques à jour sur la question de l’agriculture urbaine à Dakar, voire au Sénégal, dans un souci de mieux nourrir de données scientifiques la conception politique d’un plan de développement territorial intégrant la promotion de l’agriculture urbaine dans la région de Dakar. En effet, en tant qu’institution de recherche et de veille scientifique, l’Initiative Prospective Agricole et Rurale (IPAR) a été bien inspirée de concevoir un Projet de recherche-action sur l’agriculture urbaine à Dakar dénommé « Villes Alimentaires Sénégal  » (VALSEN).
Ce projet est à la recherche de partenariats technique et financier entre chercheurs, politiques, bailleurs et populations pour répondre à 3 objectifs stratégiques à savoir : contribuer à la sécurité alimentaire et nutritionnelle des populations urbaines ; contribuer à la création d’emplois et de revenus pour les jeunes et les femmes ; contribuer à la gestion de l’environnement et du cadre de vie urbain.
Dr. Sidy TOUNKARA
Chercheur à l’IPAR