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Le Sénégal peine à garantir la qualité des semences

Publié le 2 juin 2014

DAKAR, 2 octobre 2013 (IRIN) - La législation sénégalaise de 1994 sur la certification des semences a eu beaucoup d’influence et a servi de modèle aux lois harmonisées d’Afrique de l’Ouest en matière de qualité de la production des semences. Mais au niveau national, Dakar est confronté à une pénurie de personnel et de matériel qui entrave le contrôle de la qualité.

Des semences de qualité peuvent faire toute la différence entre une excellente récolte et un mauvais rendement des cultures, notamment pour les petits agriculteurs qui ont rarement accès à d’autres intrants agricoles essentiels tels que les engrais, le matériel agricole motorisé et les pesticides. Selon l’Institut sénégalais de recherche agronomique (ISRA), la qualité des semences compte pour 30 pour cent de la récolte.

« La qualité des semences au Sénégal – et dans toute l’Afrique – est un gros problème, notamment en période d’insécurité alimentaire persistante », a déclaré Ebrima Sonko, directeur national d’Oxfam America au Sénégal.

« On a besoin [de semences de qualité] pour survivre. Les semences de mauvaise qualité perpétuent le cycle des crises alimentaires, ce à quoi nous assistons depuis quelques années. Les semences certifiées et de bonne qualité sont vraiment importantes. »

Les réglementations de l’Afrique de l’Ouest de 2008 sur les semences certifiées s’étaient en partie inspirées de la législation sénégalaise qui avait fixé les règles de déclaration, de production, de certification et de vente des semences.

Mais les experts ont affirmé qu’en pratique, une série d’obstacles avait surgi depuis l’entrée des entreprises privées dans le secteur, lors de la vague de libéralisation des années 1990, et la fin du monopole gouvernemental sur la production des semences.

La loi oblige le gouvernement à fournir 40 000 tonnes de semences certifiées pour les cultures d’arachides, sur les 120 000 tonnes annuelles requises. Le reste provient d’entreprises privées. Cela signifie que le gouvernement doit ensuite contrôler et certifier 80 000 tonnes de semences, une tâche qui n’est pas menée à bien par manque de personnel, a expliqué un fonctionnaire d’État qui souhaite rester anonyme.

« Au ministère de l’Agriculture, il y a en général un problème de personnel non qualifié », a déclaré Tidiane Ba, responsable de la Division des Semences (DISEM) du ministère de l’Agriculture. « Comme vous le savez, la certification des semences nécessite un contrôle pour garantir la traçabilité… Nous avons besoin d’un personnel beaucoup plus qualifié et de plus de matériel. »

Le problème épineux de l’assurance de la qualité

L’ISRA a pour mission de sélectionner et de créer des semences de qualité, puis de les distribuer à des agriculteurs sélectionnés afin qu’ils les reproduisent. Ces agriculteurs distribuent à leur tour les semences aux petits agriculteurs. La DISEM, la seule autorité officielle de certification des semences, assure l’application de règles strictes.

Cependant, Alioune Fall, directeur scientifique de l’ISRA, a évoqué des problèmes de régulation du marché libre des semences. « C’est à cause de la libéralisation du secteur. Au final, il est difficile de contrôler tous les acteurs de la chaîne de valeur. »

M. Fall a expliqué que le système d’évaluation servant à déterminer la quantité de semences nécessaire chaque année ne fonctionnait pas depuis dix ans. « En fait, nous calquons notre production sur celle de l’année précédente pour toutes les variétés », a-t-il déclaré à IRIN. « Nous ne savons pas quelle est la demande exacte. »

« Pour avoir une certification des semences, il faut des règles et des procédures », a affirmé Joe Devries, directeur du programme des systèmes semenciers pour l’Afrique (PASS) de l’Alliance pour une révolution verte en Afrique (AGRA). « C’est une opération logistique lourde. Il s’agit de diriger un important service, comme un organisme gouvernemental, qui doit être financé par l’État. »

Beaucoup de pays africains ont commencé à mettre en œuvre la certification des semences. La procédure comprend des critères qualitatifs et quantitatifs comme la pureté de la semence, un étiquetage correct, un taux de germination d’au moins 90 pour cent, et l’absence de parasites ou de maladies.

L’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) affirme que la certification des semences est un processus complexe qui nécessite beaucoup de main-d’œuvre et de matériel, ainsi qu’un grand secteur industriel et une formation du personnel sur le terrain.

Mama Touré, coordonnatrice du projet pour le programme intégré de sécurité alimentaire et nutritionnelle de la FAO, a déclaré que le Sénégal avait besoin d’une nouvelle législation afin d’inclure d’autres organismes dans le processus de certification.

« Le ministère de l’Agriculture pourrait et devrait autoriser des entités privées à réaliser [la certification des semences] en son nom », a-t-elle déclaré.

Le besoin d’une formation

Le ministère de l’Agriculture doit aussi multiplier les campagnes de sensibilisation, apprendre aux agriculteurs l’importance des semences de qualité et persévérer dans ses efforts de recherche pour ne pas se tromper sur les semences à certifier, a déclaré M. Sonko, d’Oxfam.

« Souvent, à l’occasion d’une sécheresse par exemple, quand il n’y a pas de semences indigènes disponibles, le gouvernement importe des semences qu’il croit meilleures, car elles proviennent d’autres pays, généralement plus développés », a-t-il dit. « Mais en réalité, ces semences ne sont souvent pas adaptées aux conditions d’ici [au Sahel]. Donc, quand on se rend compte au milieu de la saison que les semences sont mauvaises, il est déjà trop tard. »

Selon M. Sonko, pour éviter ce cas de figure – et les problèmes liés à la certification des semences en général – il faut apprendre aux agriculteurs à utiliser leurs propres semences indigènes.

« Cela n’exclut pas la certification des semences, mais il existe des alternatives », a-t-il expliqué. « Parfois, la meilleure façon d’obtenir des semences de qualité est de conserver ses propres semences, de chercher sur son exploitation l’endroit qui semble le mieux adapté et de récolter ces semences pour les planter l’année suivante. »

Si cette méthode peut s’avérer très efficace, notamment avec l’utilisation de semences indigènes qui se développent bien dans une localité depuis des générations, il faut quand même un système de certification en place si un agriculteur a besoin d’acheter des semences, affirment les experts.

« Certains réclament la suppression de la certification des semences », a déclaré M. Devries de l’AGRA. « Il faut un système de marché solide pour que le vendeur soit tenu responsable si l’agriculteur achète des semences qui ne germent pas. »

M. Devries a affirmé que le gouvernement devait intervenir à ce niveau-là et travailler avec le secteur privé pour faire en sorte que les agriculteurs soient à l’abri des escroqueries.

« Les gens se sont faits à l’idée que les agriculteurs en Afrique étaient habitués à l’agriculture de subsistance et aux faibles rendements », a-t-il dit. « Il existe une solution à ce problème. [Grâce à la certification des semences], les pénuries alimentaires en Afrique pourront appartenir au passé. »

D’après M. Ba, le ministère de l’Agriculture est conscient de l’importance des semences de qualité pour la viabilité du secteur agricole. Il a affirmé que le ministère était actuellement en train de chercher à résoudre les problèmes de personnel, afin d’améliorer le processus de certification des semences au Sénégal, mais qu’il manquait toujours de ressources.

 

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