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Note de synthèse n°4 : Propositions paysannes de réforme foncière

Publié le 9 juin 2014

 Le CNCR a mené entre 2001 et 2004 un large processus ascendant de réforme foncière partant des communautés rurales et qui a fait l’objet de restitutions et d’approfondissement tant au niveau régional que national. A l’issue de ce processus qui a permis une large mobilisation des acteurs, les paysans et leurs partenaires ont pu proposer des pistes de réforme foncière.
Les justifications d’une réforme foncière

Pour les paysans, les trois principales justifications d’une réforme foncière sont :

  • « la reconnaissance de droits fonciers réels aux paysans. Cette reconnaissance de droits, y compris de procéder à des transactions foncières, s’est imposée comme une nécessité pour la sécurité foncière des paysans et pour la transformation de l’agriculture familiale. Cette reconnaissance de droits réels s’est aussi imposée comme une question d’équité, de simple égalité entre les citoyens des villes et les citoyens des villages.
  • la création d’une fiscalité foncière assurant aux communautés rurales les ressources financières pour une application de la législation foncière, pour une gestion durable des ressources naturelles et pour la fourniture de services publics. Les participants aux ateliers ont toujours été d’accord pour dire que le paiement d’impôt ou de taxe était une contrepartie normale à la reconnaissance de droits réels d’autant plus que les communautés rurales en seraient les principaux bénéficiaires.
  • la réponse aux besoins fonciers de l’urbanisation et du développement économique du pays. Les paysans reconnaissent la nécessité d’un transfert d’une partie des terres de l’agriculture familiale vers d’autres formes d’activités économiques et d’une extension des villes sur les campagnes. Leur obsession est la maîtrise de ces transferts par rapport à la spéculation, par rapport à l’Etat et aux collectivités locales et une juste compensation ».

Propositions paysannes de réforme foncière

La synthèse des débats menés au niveau local et régional a débouché sur une dizaine de propositions phares qui ont été présentées lors d’un atelier national de validation des propositions paysannes tenu en janvier 2004 à Dakar :

  • « reconnaître un droit d’usage négociable à tous les titulaires actuels d’un droit d’affectation. Le droit d’affectation n’est pas en réalité un droit, mais une obligation de mise en valeur que la collectivité locale et l’Etat peuvent remettre en cause à tout moment, sans aucun dédommagement, si ce n’est le remboursement des impenses. Les paysans s’y sont résignés, mais ne l’ont pas accepté. Le droit d’affectation ne leur donne aucune sécurité foncière, surtout dans le contexte actuel de rareté de la ressource foncière. Il n’est pas non plus acceptable de demander à des chefs d’exploitation familiale d’investir sur des terres sur lesquelles ils n’ont aucun droit. […] Pour tenir compte des différences entre régions, les paysans ont proposé que la loi laisse aux bénéficiaires le soin de décider si le droit d’usage est accordé à un individu, une famille ou un lignage. Les discussions sur les droits des femmes ont été très vives. […]
  • créer des marchés locaux (ou communautaires) de droits d’usage. Les paysans ont beaucoup discuté de leur crainte de voir des détenteurs de capitaux (riches citadins, hauts fonctionnaires, hommes politiques et notables religieux et traditionnels), racheter leurs terres à vil prix et les recruter ensuite comme ouvriers agricoles. […] Le compromis suivant a été retenu […] : les droits d’usage reconnus aux affectataires actuels ne doivent être négociables qu’entre résidents de la communauté rurale. Les familles et les lignages déclarés peuvent inclure leurs membres non-résidents dans la communauté rurale. Pour les paysans, cela incitera les parents émigrés ou partis en exode à investir dans leurs terroirs et éventuellement à y retourner. […] La création de marchés locaux de droits d’usage permet aux ruraux de procéder entre eux à des transactions foncières : louer, vendre, prêter, transmettre à leurs ayants droits ou donner des droits d’usage. La création de marchés fonciers locaux est indispensable pour permettre de lutter contre le morcellement des exploitations agricoles. Les participants ont unanimement reconnu la nécessité de la création d’une taxe foncière affectée à la communauté rurale portant sur les droits d’usage, dont les montants proposés par les ateliers ont varié entre 500 et 1 000 FCFA/hectare. […]
  • créer une taxe d’aménagement sur les terres ayant été aménagées sur fonds publics. La reconnaissance de droits d’usage pose le problème des terres aménagées sur investissement public. L’Etat a déjà accepté leur transfert aux communautés rurales. Contrairement à certaines propositions d’une législation foncière spécifique pour la vallée du Sénégal, les paysans sont partisans d’une loi foncière unique qui tienne compte des aménagements réalisés par l’Etat. En plus de la taxe sur le droit d’usage, les bénéficiaires paient une taxe d’aménagement. Cette taxe perçue en même temps que l’impôt foncier peut être calculée en fonction du coût de l’aménagement et étalée sur une période donnée […].
  • transformer les droits d’usage en titres fonciers. La nouvelle législation doit reconnaître aux détenteurs de droits d’usage la possibilité, à tout moment, de transformer ce droit en bail ou titre foncier. Pour que cette possibilité ne provoque pas une ruée vers l’immatriculation des terres et ne soit pas contournée par les détenteurs de capitaux, un impôt foncier dissuasif sera fixé pour les titres fonciers. Son niveau doit être dissuasif pour ceux qui n’ont pas un projet de mise en valeur suffisamment rentable pour pouvoir payer l’impôt foncier. Des géomètres en nombre suffisant seraient agréés par l’administration dans toutes les régions pour que ceux qui désirent immatriculer leurs terres puissent faire appel à leurs services et éviter les lenteurs et aléas de l’administration. […]
  • établir un droit de préemption du conseil rural et créer un fonds foncier. Les paysans proposent que le conseil rural ait un droit de préemption sur les transactions de droits d’usage suivant une procédure simple, rapide et peu coûteuse. Ce droit lui permet de reprendre des terres à un faible coût pour ses propres besoins d’investissement ou pour les investissements de l’Etat ou encore pour des projets privés ayant un intérêt réel pour les populations. […] La proposition de création d’un fonds foncier qui pourrait acheter des terres et les redonner aux paysans pour agrandir leurs exploitations ou pour aider à l’installation de jeunes agriculteurs a été retenue.
  • créer des comités villageois de gestion de terroirs. Les comités villageois de gestion de terroirs auront, par délégation du conseil rural, la charge de la gestion au quotidien du terroir. Leurs tâches consisteraient à procéder à la demande au bornage des droits d’usage, au règlement des petits conflits, à faire respecter la réglementation concernant l’exploitation des ressources naturelles (pâturage, coupe de bois, cueillette) et à initier des actions de préservation ou d’aménagement simples (reboisement, aménagement de bassins versants, lutte contre l’érosion). Ils devraient pouvoir procéder à des constats de non-respect des règles et faire sanctionner par le conseil rural […]
  • renforcer les pouvoirs du conseil rural. Les ateliers ont mis l’accent sur la nécessité d’alléger les tâches de gestion quotidienne du conseil rural et la nécessité de renforcer et clarifier ses pouvoirs par rapport à l’Etat. Le conseil rural doit avoir seul les pouvoirs de gestion du terroir de la communauté rurale. Il délègue aux comités villageois de gestion des terroirs certains de ses pouvoirs. Il doit obligatoirement être consulté par l’Etat pour toutes les décisions touchant aux terres et aux ressources naturelles de la communauté rurale quel que soit le statut foncier de celles-ci. […] Les décisions du conseil rural concernant la gestion des terroirs doivent aussi faire l’objet d’une procédure publique pour que les populations puissent émettre leurs avis et éventuellement contester les décisions. L’approbation des décisions par le sous-préfet doit être maintenue. Les moyens de contrôle de celui-ci doivent cependant être renforcés […]
  •  mettre en place des plans d’occupation et d’affectation des sols. Les POAS sont actuellement expérimentés dans les communautés rurales du Delta et de la vallée du fleuve Sénégal ; quelques expériences de POAS sont également tentées dans le sud-est du pays (Tambacounda, Kolda). Plusieurs projets de gestion de terroirs et de ressources naturelles mènent des expériences d’aménagement et de gestion dans différentes zones du pays. La synthèse de ces expériences permettrait de définir les textes réglementaires qui pourraient enrichir les POAS. Les procédures de préparation doivent permettre la consultation des populations et le plan doit être soumis à l’approbation des autorités de tutelle.
  • mettre en place des cadastres de communautés rurales. La priorité doit être accordée à l’élaboration des POAS. C’est seulement après la mise en place d’un POAS, qu’une communauté rurale devrait se lancer dans la mise en place d’un cadastre couvrant l’ensemble de son territoire.
  • créer un fonds national d’aménagement foncier et de remembrement. […] Ce fonds doit permettre de financer en partie ou en totalité l’élaboration des POAS. Le fonds doit aussi permettre de subventionner les programmes d’aménagement, de remembrement et de gestion des terroirs des communes rurales. […] En attendant la mise en place de ce fonds, l’Etat devrait affecter la totalité des taxes sur les ressources naturelles prélevées sur les terres du domaine national et qui étaient jusqu’à présent versées au fonds forestier aux communautés rurales. Une partie de ces ressources financières pourrait faire l’objet d’une péréquation au profit de l’ensemble des communautés rurales. Ces ressources complétées par des aides des partenaires au développement permettraient aux communautés rurales de mener des actions d’aménagement de terroirs et de gestion des ressources naturelles à la mesure des problèmes actuels.
  • développer les contrats d’exploitation des ressources naturelles des terres non affectées. […] L’accès libre des populations à ces ressources ne pourra pas se poursuivre longtemps. […] Les communautés rurales doivent développer la contractualisation de l’exploitation de leurs ressources (contrats de coupe de bois, contrats de cueillette, contrats de pâturage, etc.), sur la base de cahiers de charge et en donnant la priorité, sinon l’exclusivité, aux groupements et coopératives de la communauté rurale. A terme, l’exploitation de ces ressources ne devrait pouvoir se faire que dans le cadre de contrats d’exploitation. […]

Les propositions ci-dessus ne prennent pas en compte l’ensemble des questions débattues au cours des ateliers. Nous avons fait le choix de concentrer le rapport et donc les débats du séminaire national sur les questions clé. Il s’agit d’un choix d’efficacité. Si un consensus se dégage sur ces points essentiels, il sera facile de trouver des solutions sur les questions non abordées ici ».