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Note de synthèse n°5 : outils de gestion et de sécurisation foncière

Publié le 10 juin 2014

 Le foncier au Sénégal reste encore dominé par un modèle dualiste de gestion qui s’appuie sur la tradition et sur la législation moderne.
Un modèle dualiste de gestion du foncier

En effet, deux modes de gestion foncières se superposent :

  • un mode « traditionnel » qui s’appuie sur les règles coutumières ; et
  • un mode « moderne » fondé sur la législation nationale.

Ce cadre réglementaire est principalement organisé par la loi sur le domaine national (LDN) votée en 1964 et ses décrets d’application, ainsi que par les textes sur la décentralisation (loi sur la réforme administrative de 1972 et les lois sur la décentralisation de 1996). Ces textes ont prévu des procédures et outils de sécurisation foncière dont certains sont liés à la LDN (registre foncier et cahier des délibérations), alors que d’autres ont été expérimentés par des projets.

Toutefois, ces outils sont insuffisants pour assurer une sécurisation foncière, dès lors qu’ils visent à conforter la LDN qui en elle-même comporte des facteurs d’insécurité qu’il conviendrait de corriger à travers une nouvelle réforme foncière. Cette réforme devrait procéder d’une démarche inclusive fondée une large participation et prendrait en compte les pratiques foncières reconnues et acceptées par la majorité des acteurs ruraux.
Publicité des décisions et registres fonciers : des dispositions de la LDN non appliquées

La publicité des décisions d’affectation et de désaffection et leur inscription dans un registre foncier prévues dans les décrets d’application de la LDN constituent les deux principaux moyens de sécurisation du foncier rural. Les textes stipulent que « toute affectation et désaffectation de terre doit faire l’objet d’une notification aux intéressés » et que cette décision doit être mentionnée au registre foncier « tenu en double exemplaire par le Président du Conseil Rural et le sous-préfet ». Il s’agissait à travers ces dispositions de rendre les décisions en matière foncière du conseil rural transparentes et de limiter les fraudes ou contournements, tout en gardant des traces écrites de ces décisions pour en éviter des contestations ultérieures.

Néanmoins, ces livrets fonciers n’ont jamais été mis en place comme prévu et aucun arrêté n’a été pris pour en fixer le contenu. On a donc aujourd’hui une absence de registre foncier dans la grande majorité des communautés rurales, une hétérogénéité de registres dans les CR qui ont pu en disposer grâce à de l’appui de partenaires au développement. Même dans ces derniers cas, les enregistrements sont incomplets, manquent de précision et ne permettent pas une bonne gestion foncière (risques d’affectations multiples). Par ailleurs, ces registres connaissent des problèmes sérieux de mise à jour (changements d’affectataires, de superficie affectée, etc.), mais aussi d’archivage des dossiers fonciers et de conservation des documents.
Plan d’occupation et d’affectation des sols - POAS

Dans la vallée du fleuve Sénégal qui abrite la majeure partie des aménagements hydro-agricoles, les transactions foncières sont à la fois anciennes et importantes. Face à cette situation, certains outils y ont été testés dans le but de promouvoir des systèmes locaux de gestion du foncier et des ressources naturelles, en l’occurrence les plans d’occupation et d’affectation des sols (POAS).

Le choix du POAS comme porte d’entrée pour aborder les enjeux fonciers se justifie par le fait que cet outil offre plusieurs avantages liés à :

  • l’établissement de règles régissant la gestion de l’espace et des ressources naturelles définies en concertation avec les populations ;
  • l’instauration d’un cadre organisationnel pour la prise de décision et le suivi/évaluation ; et
  • l’élaboration de supports cartographiques pour orienter et éclairer les processus décisionnels, notamment une cartographie de l’état des lieux général de la CR (aptitudes des sols, espaces habités, infrastructures, etc.) et une cartographie des zones d’usages prioritaires (zone à priorité agricole, zone à priorité pastorale, zones exclusivement pastorales, etc.).

Le POAS présente plusieurs intérêts dans la mesure où :

  • il favorise la reconnaissance de la responsabilité/légitimité des communautés rurales à gérer leur territoire ;
  • il est utile à la gestion collective de l’espace et à la sécurisation des différents usages ;
  • il permet une bonne appropriation par la CR et les populations des enjeux d’une gestion foncière ; et
  • il restaure souvent la place de l’élevage dans l’occupation et l’utilisation de l’espace, notamment dans les zones bénéficiant d’aménagements hydro-agricoles (valorisation des résidus culturaux, etc.).

En 2010, 34 des 48 communautés rurales de la vallée du fleuve Sénégal sont doté d’un POAS achevé ou en cours d’élaboration avec l’appui de la SAED. Dans le sud du pays, des expériences ont été menées avec l’appui de la SODEFITEX et de la SODAGRI, mais l’absence d’une expertise interne n’a pas permis d’atteindre les résultats attendus. Tel qu’il se présente aujourd’hui, et contrairement à l’idée dominante, le POAS n’est pas un outil de sécurisation foncière. Il ne prend pas encore en compte les questions relatives aux droits fonciers (traditionnels ou modernes), aux parcellaires, à la matérialisation de limites foncières, etc. Avec l’intégration de tels aspects qui enrichirait ses acquis au plan foncier, le POAS pourrait néanmoins évoluer progressivement vers un outil de sécurisation foncière. Dans cette logique, la démarche pourrait consister à commencer à travailler à des niveaux infra zones de gestion pour des espaces fortement mis en valeur, occupés ou convoités.

Charte du domaine irrigué - CDI

La CDI concerne les terres irrigables de la rive gauche de la vallée du fleuve Sénégal et de la Falémé. Elle a été élaborée suite au développement anarchique des périmètres privés observé dans le Delta à fin des années 1990. La dégradation rapide de ces aménagements (qui induit des risques de salinisation) et leur implantation anarchique (obstruction des voies d’accès, non prise en compte des capacités des adducteurs) ont motivé l’élaboration de la CDI. Celle-ci a pour objectif de :

  • favoriser l’exploitation intensive et optimale des aménagements hydro-agricoles (réalisés ou non par l’Etat) ;
  • prévenir la dégradation des ressources (terre et eau) ; et
  • rationnaliser la conception des périmètres irrigués. La Charte du Domaine Irrigué a été élaborée au terme d’un long processus de concertation (plus de 40 ateliers locaux) et a fait l’objet, pour son application, d’un arrêté Primatorial en date du 25 juillet 2007.

La CDI comprend deux composantes :

Le texte de la Charte lui-même et les engagements de l’attributaire. Le texte de la Charte définit :

  • son objet ;
  • les conditions d’exploitation des terres du domaine irrigué, à savoir : disposer d’une affectation du CR ; disposer d’un dossier technique approuvé par la SAED et comportant un schéma d’aménagement ; ne pas gêner des tiers dans son implantation, avoir accès à une source d’eau ; tenir compte de la capacité des adducteurs ;
  • les conditions de mise en valeur des terres du domaine irrigué (100 % /an dans les aménagements publics, 100 % dans un délai de 5 ans pour les aménagements privés, hydro-agricoles ou autres) ; et
  • les engagements des parties (Etat représenté par la SAED et conseil rural).

L’engagement de l’affectataire d’une terre par le CR ou d’un attributaire d’une parcelle dans un aménagement public consiste en la signature d’un document qui décrit les conditions d’exploitation et de mise en valeur des terres du domaines irrigué auxquelles s’ajoutent, l’engagement à :

  • s’acquitter de la redevance OMVS ;
  • s’acquitter de la redevance instituée pour le fonds de maintenance ; et
  • accepter la vérification, par la SAED, de la conformité des travaux réalisés avec le plan d’aménagement.

La CDI dont l’application n’est pas encore effective sur le terrain, n’est pas en tant que tel un outil de sécurisation foncière, mais elle vient combler, pour les terres du domaine irrigué des vallées du Sénégal et de la Falémé, le vide créé jusqu’ici par l’absence de définition de la notion de mise en valeur qui devait être faite par arrêté préfectoral (décret 72-1288, art. 10). De ce fait, elle met fortement l’accent, dans la vallée du fleuve Sénégal, sur la valorisation des ressources en eau et en terres, à travers l’intensification de l’agriculture. La CDI occulte toute autre forme de valorisation de ces deux ressources. De plus, elle donne de plus une définition très extensive du domaine irrigué en y incluant toutes les terres du « jeeri » qui peuvent faire l’objet d’aménagements hydro-agricoles (goutte-à-goutte, aspersion), ce qui risque de réduire de façon drastique les espaces pastoraux.
Registre foncier nouveau modèle et système d’information foncière (PACR)

Le Programme d’Appui aux Communautés Rurales (PACR) de la vallée du fleuve Sénégal est un projet d’une durée de quatre ans (2009- 2012) financé par l’AFD. Il intervient dans une zone pilote constituée de 7 communautés rurales et est structuré autour de 4 composantes dont une sur la gestion du foncier, qui vise à doter les CR d’outils, de procédures et de savoir-faire afin qu’elles puissent gérer de façon efficace et transparente le domaine irrigué relevant de leurs compétences. Le PACR travaille à l’élaboration de plusieurs outils :

Registre de dépôt des demandes : Il est destiné à enregistrer officiellement les demandes reçues (n° d’ordre, date, demandeur) et peut permettre de vérifier si les formalités requises ont été respectées.

Nouveau type de registre foncier comportant des cahiers parcellaires : ce registre permet de documenter toutes les étapes concernant les décisions d’affectation et de désaffectation des terres au sein des communautés rurales. Il est conçu sous forme de cahier parcellaire, permettant de gérer individuellement une parcelle par page (affectation, désaffectation, modification..). Il comble les lacunes des registres existants et permet une localisation géographique plus précise des parcelles affectées, ainsi que l’appréciation de leur superficie exacte.

Dossier foncier : il s’agit d’un dossier foncier individuel regroupant un ensemble de documents qui fournissent des informations concernant la parcelle affectée et l’affectataire.

Cartographie parcellaire : cet outil n’est pas encore défini de manière précise. Son objectif est d’adjoindre au dossier foncier, un plan précisant les dimensions et le positionnement (géo référencement) de la parcelle affectée, sa surface calculée, les riverains s’ils sont connus. Le relevé serait à effectuer au GPS par les CR.

Fiche individuelle : cette fiche n’est pas encore mise en place. Son objectif est de synthétiser toutes les données relatives au demandeur de parcelle, à la demande elle-même et à son traitement.
Conventions locales de gestion des pâturages

Les conventions locales sont des « accords, écrits ou oraux, négociées entre deux ou plusieurs groupes d’acteurs, définissant un ensemble de règles de gestion et d’utilisation des terres et/ou ressources naturelles comprises dans un espace donné » (lexique sur le foncier). L’élaboration de conventions locales permet de travailler dès le départ à :

  • une clarification des rôles de tous les acteurs ;
  • la valorisation des savoirs et savoir- faire locaux (à partir du capital de connaissances et de pratiques des populations) ;
  • la prise en compte des différents intérêts d’utilisateurs des ressources naturelles ;
  • la recherche de consensus à travers la concertation et la négociation continues entre l’ensemble des utilisateurs des ressources ; et
  • la communication permanente tout au long du processus d’élaboration.

L’élaboration des conventions locales doit obéir à une logique d’apprentissage qui met les populations au centre de la réflexion et de l’action. Une fois la convention locale élaborée, chaque partie prenante joue son rôle pour atteindre les changements souhaités :

  • mise en place d’un mécanisme de suivi-évaluation qui indique les outils, les rôles et responsabilités de chacun, ainsi que l’organisation pratique ;
  • diffusion de la convention ;
  • mise en œuvre ;
  • évaluation et réadaptation en fonction des résultats de l’évaluation, mais aussi de l’évolution des conditions socio-économiques, politiques et institutionnelles.

Les conventions locales de gestion des pâturages rencontrent un certain nombre de contraintes :

  • réticence des autorités administratives à signer les différents documents qui n’ont aucune base juridique ;
  • faible diffusion de la convention entraînant une méconnaissance de ses différentes clauses par les usagers des différentes clauses qu’elle comporte ; 
  • difficultés à mettre en œuvre une approche réellement participative ;
  • faible efficacité des mécanismes de suivi, etc. Pourtant les conventions locales ont montré des impacts positifs : elles contribuent à un renforcement de la cohésion sociale dans les zones où elles sont mises en œuvre, elles concourent à la consolidation de la conscience écologique et réduisent l’ampleur du phénomène de la dégradation des ressources naturelles.

Limites des outils fonciers actuels

Tous ces outils visent à sécuriser les affectations foncières dans le cadre défini par la LDN et, surtout à sécuriser la mise en valeur des terres. Ces différents outils ne remettent nullement en cause les dispositions de la législation foncière actuelle, bien au contraire, ils cherchent à la conforter. Or, cette législation comporte elle-même des facteurs d’insécurité, liés autant à la nature des droits qu’elle confère, qu’aux conditions de sa jouissance et à l’absence de mesures d’accompagnement permettant une application effective de la loi. Aussi, est-il primordial de repenser la législation dans le sens d’améliorer la sécurisation foncière des ruraux, avant de penser aux outils susceptibles d’appuyer sa mise en œuvre.
Facteurs d’insécurité pour les exploitations familiales

Dans les zones de terroir, les facteurs d’insécurité renvoient d’une part à la non effectivité de l’application de la loi sur le domaine national et, d’autre part, à certaines dispositions de cette loi, notamment l’inexistence et l’insuffisance d’outils, ainsi que l’absence de mesures d’accompagnement conduisent à l’absence ou la faiblesse de l‘usage de registres fonciers, de cartes, de bornages et à l’imprécision de certaines notions (mise en valeur, résidents, etc.). Au niveau de l’affectation et de la désaffectation, l’insécurité réside d’une part, dans la nature de simple droit d’usage qui est accordée (droit non cessible), d’autre part dans le caractère hypothétique de sa transmission par héritage et enfin, dans l’arbitraire qui peut caractériser certaines conditions de désaffectation (utilité publique).

Dans les zones pionnières reversées en zones de terroir, l’insécurité provient du fait que depuis 1996, les conseils ruraux de ces zones n’ont plus la latitude d’exercer leurs prérogatives de gestion foncière sur toutes les terres des zones reversées (plus particulièrement celles ayant fait l’objet d’un aménagement spécial), certaines parties pouvant être à tout moment contrôlées par l’Etat ou affectées à des tiers (art 21 de la loi 96-07).

En ce qui concerne les organisations de producteurs (coopérative, section villageoise, GIE, etc.), l’insécurité est liée au fait que le producteur ne dispose pas directement d’une affectation de la communauté rurale. C’est son groupement qui est affectataire. Le producteur membre de l’organisation ne bénéficie que d’une attribution, qui n’a aucune valeur juridique, même si souvent les CR demandent aux groupements la liste des bénéficiaires des attributions, avant de prendre leur délibération.

Il apparaît donc nécessaire de mieux sécuriser le foncier des ruraux et des exploitations familiales. Quatre raisons principales sont souvent évoquées :

  • l’intensification de la production ;
  • la préservation des ressources naturelles ;
  • la circulation des droits d’usage de la terre ; et
  • la limitation des conflits fonciers. Cependant, les liens ne sont pas toujours évidents entre sécurisation foncière et intensification agricole et la propriété privée, généralement considérée comme garantissant la sécurité la plus complète, n’est pas toujours la forme de sécurisation la plus appropriée.

L’important en matière de sécurisation foncière est que la diversité de droits dont disposent les individus ne puissent pas être remis en cause subitement, qu’ils soient donc reconnus et légitimes et puissent être défendus par des instances d’arbitrage (coutumières, administratives, judiciaires, etc.). Aujourd’hui, l’expérience de réforme foncière de pays de la sous-région ouvre de nouvelles voies dans la reconnaissance des droits traditionnels (certificat foncier en Côte d’Ivoire, chartes foncières locales du Burkina Faso, etc.). Il y a donc une nécessité pour les OP et le CNCR de se concerter et de réfléchir d’une part sur les moyens et mesures permettant de juguler les facteurs d’insécurité foncière soulignés et d’avoir leur propre perception de la sécurisation foncière telle que souhaitée par les ruraux et de la défendre dans le débat sur la réforme foncière.