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leral.net - Lettre ouverte sur le nouveau schéma du PDIDAS (Par Pr Ibrahima Arona DIALLO)
Publié le 6 novembre 2017
Pr Ibrahima Arona DIALLO, Université Gaston Berger de Saint Louis, UFR de Sciences Juridiques et Politiques , Coordonnateur du Master Recherche « Décentralisation et Gestion des Collectivités locales  ». Expert Associé à l’IPAR.
A Madame Ndeye CouraMbaye DIOP, Coordinatrice du PDIDAS.
Madame la coordinatrice,
C’est pour moi un honneur particulier de vous adresser cette lettre ouverte sur le nouveau schéma du PDIDAS.
Je voudrais exprimer mes sincères remerciements aux différents acteurs pour le travail de réflexion engagée depuis le début du processus. Cet engagement vers une solution durable est à saluer au regard des objectifs importants déclinés :
Sauvegarder les intérêts des différentes parties (Collectivités Locales, Investisseurs, Etat) ;
Répartir les bénéfices issus des investissements entre les parties prenantes ;
Sécuriser les investisseurs tout en permettant aux Collectivités Locales de maintenir un contrôle sur le foncier ;
Obtenir l’adhésion des populations tout en respectant le dispositif législatif et réglementaire.
Toutefois, je vous invite à poursuivre la réflexion pour affiner le schéma foncier opté par le PDIDAS car l’expression de « délibération sécurisée  » pose beaucoup de problèmes au regard du droit.
Il est clair que le régime foncier et les compétences des collectivités locales sont deux questions inséparables du développement agricole du Sénégal. Le fait est imputable, entre autres, aux mutations agricoles et à la longue gestation de la décentralisation et du développement local.
Dans ce cadre, la notion de « délibération sécurisée  » est une qualification juridiquement erronée car une délibération est une procédure singulière et elle-même sécurisante. Elle ne peut offrir une sécurité au-delà de la loi qui régit les collectivités locales au Sénégal.
La notion de délibération, si simple à première vue, s’avère en réalité extrêmement complexe dès que l’on tente de l’analyser en vue de la définir de façon précise. Le terme tel qu’il est utilisé dans le cadre du droit des collectivités locales est pris en effet en deux sens : le fait de délibérer, d’une part ; le résultat de cette activité, d’autre part, c’est-à -dire une manifestation de volonté collective.
Le fait de délibérer est une activité consistant en un échange de points de vue individuels entre les conseillers, une discussion au cours de laquelle chaque conseiller agit à titre personnel : c’est ce qu’en un mot on appelle le « débat  ». Cette possibilité qui appartient à chaque conseiller d’exprimer de la sorte en séance son point de vue personnel sur toute affaire portée devant l’organe délibérant est un droit qui découle de son mandat.
La délibération est le résultat de l’activité de délibérer. Elle est alors une manifestation de volonté collective de l’organe délibérant. C’est en ce sens que le mot délibération est employé lorsque l’on dit que « une délibération est prise  ».
La délibération n’est donc qu’un support, un « moule  », qui peut contenir des contenus juridiques différents. Dès lors, les cahiers de chartes et les accords tripartites entre l’investisseur, les communautés et l’Etat vont constituer des éléments non détachables de la délibération.
La question centrale est celle du contenu juridique de la délibération prise, c’est-à -dire la détermination de ce à quoi correspond la manifestation de volonté de l’organe délibérant du point de vue de l’analyse juridique. Une délibération est un mot simple mais cette simplicité ne saurait cacher les effets juridiques confèrent une sécurité juridique suffisante.
Madame la coordinatrice, le principe est désormais le caractère exécutoire des actes locaux et dans ce cas particulier la délibération, toutefois, la soumission de la délibération en matière foncière à une approbation préalable conditionne son entrée en vigueur conformément à l’article 245 du CGCL. En effet, le contrôle préalable sur les actes des collectivités locales en matière foncière constitue un autre élément de la sécurité que confère la délibération. La portée des actes en cause requiert qu’il soit maintenu un contrôle préalable. Il en est ainsi en matière Foncière où l’octroi de grandes superficies peut susciter des conséquences sociales et économiques importantes.
L’autorité de tutelle qui est le représentant de l’Etat dispose de certains pouvoirs d’investigation sur les actes locaux y compris la délibération avant même leur entrée en vigueur. Il doit en effet vérifier si l’acte que la collectivité locale a pris est un acte valable au regard de la loi et des règlements.
Aussi, les particuliers disposent contre les délibérations des organes délibérants des voies de recours devant le représentant de l’Etat et devant la cour suprême.
Aujourd’hui, nous sommes en face de deux problèmes respectivement d’ordre physique et juridique.
Au niveau physique, une délibération en matière foncière (l’affectation) suppose la connaissance exacte des limites des terroirs et des communes ; ce qui n’est pas le cas. Cela crée des confusions et même des conflits entre les collectivités locales.
Au niveau juridique, on peut constater aussi cette confusion car les communes, lors des affectations, ne font pas de différence entre les terres relevant du domaine national et celles relavant du domaine public de l’Etat (fluvial), qui échappe à leur compétence.
La seule possibilité d’éviter ces conflits et confusion c’est de mettre en place un plan cadastral, au niveau de chaque collectivité. Un plan cadastral aurait l’avantage de situer de façon précise chaque parcelle de terre affectée ou encore disponible, ce qui réglerait du coup des confusions sur les périmètres et espaces. En effet, en l’absence de plan cadastral fiable, l’affectation se fait sur papier et ce n’est qu’après qu’on se met à la recherche de la zone et du terrain à affecter. Il arrive que les parcelles affectées ne puissent être exploitées à cause de la présence d’aménagements primaires et / ou structurants.
Cependant, le cadastre suppose la réunion d’un certain nombre de conditions :
Le coà »t d’un cadastre est élevé et il n’est pas sà »r que les communes de la VFS soient financièrement en mesure d’y faire face. Pour le réaliser, il faudrait soit disposer d’un personnel qualifié et des outils adéquats, soit faire appel à des bureaux d’ingénierie ; ce qui dépasse leur capacité financière. La constitution au préalable d’un dossier foncier, permettant de suivre l’évolution d’un aménagement, ce qui n’est possible que si le Conseil dispose de moyens humains et matériels mais aussi de fonds de cartes visualisant la réalité de l’occupation des sols.
Ainsi, sans cet outil indispensable, il est difficile, voire hasardeux pour le bailleur de fonds de sécuriser et de garantir le remboursement des prêts consentis surtout s’il s’agit d’un crédit long terme.
Enfin, la possibilité offerte au Conseil de désaffecter pour défaut ou insuffisance de mise en valeur, en l’absence de conditions et de critères clairement définis par les textes, rend précaire toute utilisation du sol. Ce type d’affectation n’offre pas de sécurité foncière, et par conséquent rend aléatoire toute forme de garantie que les bailleurs de fonds peuvent exiger de l’usager. Cela pose le problème de la garantie liée à un droit d’usage sur les sols du domaine national.
Les textes avaient pourtant prévu la mise en place des outils d’information nécessaires pour la connaissance du foncier rural. Selon l’article 26 du décret 64-573, il est constitué pour chaque terroir un dossier foncier. Sa composition devait être fixée par arrêté des ministres des finances, de l’économie rurale et du plan. Mais aucun arrêté n’ayant été pris, ce dossier qui devait être tenu en double exemplaire, ne fut jamais déposé au siège du conseil rural et dans préfectures, comme le décret l’avait prévu. Huit ans plus tard ; le décret 72-1288 affirme itérativement la nécessite de mettre en place des documents d’information sur le foncier. L’article 21 de ce texte prévoit encore qu’il est constitué pour chaque communauté rurale un dossier foncier. A ce premier document qui logiquement aurait dà » être tenu parcelle par parcelle ou affectataire par affectataire, le même article ajoutait un registre foncier, certainement destiné à recenser les décisions. En sus, les dossier et registre foncier devaient être tenus en double exemplaire par le président du conseil rural et le sous-préfet. Mais là encore, l’arrête conjoint des ministres concernés qui devait fixer la composition de ces documents n’a jamais été pris.
En l’absence de ces instruments, les acteurs du jeu foncier ne peuvent se repérer qu’à des documents moins précis, tels les registres des délibérations.
La sécurisation juridique de la tenure foncière présuppose un repérage des terres faisant ressortir la configuration générale de la zone, pour qu’il soit possible de procéder à une individualisation des parcelles en vue d’assurer leur rentabilité. Lorsque ce préalable technique est réalisé, il faut pouvoir assurer la gestion juridique quotidienne des différents évènements juridiques qui affectent la tenure foncière.
En conclusion, la solution est à trouver est dans le dispositif juridique existant et rappelé mais je ne veux pas de nouveaux obstacles quant à l’application de la solution annoncée. Une « délibération sécurisée  » est une qualification à la fois erronée et sans fondement. L’objectif global est la sécurisation complète des ressources (terre et eau) et de leur mise en valeur pour une gestion rationnelle et durable. Toutefois, cette sécurisation passe par la prise en compte successive des différentes dimensions du foncier (loi sur le domaine national, charte du domaine irrigué etc.) en apportant aux acteurs les réponses qui, sur le plan juridique et politique, réduisent l’insécurité foncière.
Or la délibération prend largement en compte ces différentes préoccupations.
Votre option a montré que la contrainte majeure au niveau foncier réside moins dans la loi sur le domaine national que dans la capacité de l’administration locale (Etat/CL) à la mettre en œuvre. En effet, il n’y a ni registre foncier fiable ni cadastre or une loi foncière ne peut fonctionner sans cadastre ni registre.
L’identification physique de la terre est un préalable à toute forme de gestion moderne. Au-delà de l’identification, il faut retracer, selon le cas, les droits et/ou les situations administratives qui s’exercent successivement sur la terre, aussi bien par rapport à leur nature que par rapport à leur détenteur.
Les communes se trouvant dans la zone du PDIDAS devraient se mobiliser pour la réalisation de cet objectif. Dans ce cadre elles pourraient obtenir des appuis financiers du PDIDAS. D’ailleurs, la réalisation des POAS suivi d’effectivité dans l’application constitue un exemple encourageant qu’il faut renforcer et approfondir par la réalisation d’un cadastre et la tenue d’un registre foncier rural. Cependant, compte tenu des faibles capacités techniques des communes, les conseillers doivent être bien forcés pour que les délibérations soient établies sur la base de consentement libre et éclairé.
Espérant avoir contribué au débat, je vous prie de croire, madame la coordinatrice, l’expression de mes sentiments distingués.
Pr Ibrahima Arona DIALO
Expert foncier associé à l’IPAR