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Bruno Losch, coordinateur RuralStruc Banque Mondiale

Publié le 1er juin 2014

Bruno Losch, économiste et chercheur détaché du CIRAD, est le coordonnateur principal du programme RuralStruc à la Banque Mondiale. Il a participé à la restitution des résultats de l’étude au Sénégal, et a accepté de répondre à nos questions à cette occasion.

1. Vous êtes le coordinateur principal du programme RuralStruc, qui a porté sur 7 pays et a démarré en 2006. Pouvez-vous nous rappeler brièvement les objectifs de cette étude ?

Ce programme est né au milieu des années 2000, dans un contexte où le débat international était dominé par la libéralisation du commerce agricole débattu à l’OMC. Plusieurs bailleurs, qui avaient engagé des travaux sur l’impact de cette libéralisation, ont souhaité aborder ensemble cette problématique mais en s’inscrivant dans la durée et en la repositionnant dans sa dimension structurelle à savoir : non pas sur la partie visible de l’iceberg (la libéralisation commerciale), mais sa partie cachée, correspondant aux recompositions en profondeur des économies rurales, sujet que personne n’abordait alors.
N’ayant pas la possibilité d’aborder simultanément toutes les situations des pays en développement, nous nous sommes concentrés sur 7 pays, situés à des stades différents de leur processus d’intégration économique et de changements structurel. On a choisi d’un côté le Mexique, avec une très forte intégration économique issue de 15 ans de libre-échange au sein de l’ALENA, et de l’autre l’Afrique sub-saharienne (Mali, Sénégal, Kenya, Madagascar), qui bien qu’engagée dans des changements rapides (ajustement structurel, désengagement de l’Etat, ouverture commerciale), est encore en phase de transition et conserve des segments de son économie qui restent régulés par l’Etat ou bénéficient d’un accès commercial privilégié (Union européenne). Enfin, des pays en situation intermédiaire - le Maroc et le Nicaragua -, où les processus de changement sont plus rapides avec notamment une intégration renforcée par des accords de libre-échange.

L’idée était de mettre en perspective les processus en cours dans ces différents pays et de voir comment les différentes catégories d’acteurs s’ajustent à ces changements structurels. Nous avions trois hypothèses fondatrices : -#Au-delà de la libéralisation commerciale, il existe des processus d’intégration (verticale et horizontale) issus de la restructuration des marchés agro-alimentaires mondiaux, marquée notamment par un pilotage croissant par la demande des consommateurs, qui offrent des opportunités, mais aussi des contraintes. Quels en sont les conséquences en termes de segmentation et de différenciation des agricultures, en particulier au niveau des exploitations agricoles ?-#Si ce processus se traduit par la marginalisation ou l’exclusion possible d’une partie des acteurs, quelles alternatives leur sont offertes en termes d’emplois et de revenus ? Au vu de la faible diversification des économies, n’y a-t-il pas un risque de blocage du processus de transition économique ?-#Les acteurs n’ont pas le choix et doivent développer des stratégies d’adaptation, quels impacts ont ces stratégies sur les recompositions de l’économie rurale ?

2. Quels sont les principaux enseignements tirés de cette étude comparative et y a-t-il des spécificités qui ont été dégagées par l’étude menée au Sénégal ?
L’étude a permis de remettre en débat la problématique du changement structurel et du couplage entre transition démographique et transition économique, ce qui n’était pas du tout anticipé au départ. Cela a fait apparaître aussi une vraie spécificité de la situation africaine, avec une économie peu diversifiée, qui repose encore essentiellement sur l’agriculture en termes d’activité et d’emploi, et où la transition démographique va se traduire par une montée en puissance extrêmement rapide de la population active : l’offre en travail (la demande d’emploi) va doubler dans les 15-20 prochaines années. C’est une opportunité majeure s’il existe des moteurs de croissance, mais cela peut aussi devenir un fardeau difficilement soutenable dans le cas contraire.

Le deuxième grand enseignement porte sur le niveau de pauvreté rurale. Dans la plupart des régions étudiées, on observe des revenus extrêmement faibles (moins de 1 dollar par jour par personne). Cette situation est plus marquée mais n’est pas spécifique à l’Afrique sub-saharienne : il existe aussi des situations de grande pauvreté rurale au Maroc ou au Nicaragua. Ce constat nous impose de prendre la mesure des enjeux : les populations concernées n’ont pas de capacité d’investissement pour se sortir de la pauvreté et restent bloquées dans des situations de forte insécurité économique, y compris, souvent, d’insécurité alimentaire. Seuls des investissements structurants massifs des pouvoirs publics et de la communauté internationale (dans les infrastructures rurales, dans le capital humain, etc.) et une politique de soutien direct aux exploitations permettront de sortir de cette situation. Dans toutes les régions enquêtées, le principal facteur de blocage vient de la priorité logiquement accordée par les ménages à la gestion du risque (économique, alimentaire) : c’est un véritable verrou à l’innovation, à une intégration plus forte au marché, à une diversification agricole et non agricole, qu’il faut lever.

Enfin, pour la première fois, l’étude RuralStruc a donné une image précise, dans 26 régions différentes, au même moment et avec la même méthodologie, de la structure des activités et des revenus en milieu rural. Jusqu’à présent, les études portaient plus sur la consommation et les dépenses, ou alors étaient trop ponctuelles pour permettre une comparaison à plus grande échelle. Cette analyse nous a montré que l’agriculture continue d’avoir un rôle pivot, mais qu’il existe aussi un important développement des activités non agricoles. Le problème, c’est que cette diversification n’est pas structurelle, les ménages se « débrouillent » en créant de petites activités dans l’informel. C’est une diversification d’adaptation. Dans le cas du Sénégal, ce constat est très fort dans le Delta et dans le Bassin Arachidier, où les d’activités et les revenus sont très diversifiés : la moitié provient de l’agriculture, l’autre moitié des activités non agricoles, mais sans que les niveaux de pauvreté aient fondamentalement changé. Cela doit toutefois nous interpeller sur les dispositifs à mettre en place pour accompagner le secteur agricole et renforcer aussi les activités non agricoles en milieu rural.

3. Avec la restitution officielle organisée par l’IPAR, on a eu une première mise en débat des résultats au Sénégal, quelles vont être maintenant les suites de ce programme ?
On est dans la phase finale d’achèvement du programme, il faut maintenant poursuivre le travail de dissémination et mettre à disposition des partenaires les connaissances produites. A un niveau international, nous allons mettre sur Internet tous les rapports nationaux et les fiches de synthèse des différents pays. Nous aurons également deux évènements majeurs : l’organisation d’un séminaire en Afrique, si possible en coordination avec la Commission économique pour l’Afrique et l’Union Africaine, afin d’avoir une bonne articulation avec les processus engagés au niveau du NEPAD/PDDAA. Un autre évènement sera organisé à Rome, plutôt à destination de la communauté internationale et des bailleurs, avec l’appui du FIDA. Ces évènements regrouperont les équipes nationales impliquées dans RuralStruc, le comité scientifique du programme, les bailleurs, des représentants des pouvoirs publics et des organisations professionnelles.

Nous allons également travailler à l’articulation des résultats de ce programme avec d’autres opérations, mais au cas par cas, car il n’y a pas de recette toute faite, tout dépend de la dynamique locale. Au Sénégal, avec l’existence de l’IPAR et la configuration actuelle des débats, le contexte est très favorable pour que les résultats soient portés et aient des implications sur les politiques publiques. Il faut aussi voir maintenant comment aller de l’avant pour la définition des nouveaux programmes d’appui. Les bailleurs de fonds de RuralStruc devraient pouvoir utiliser les résultats et la dynamique de débats pour innover dans la configuration de leurs programmes. La balle est maintenant entre les mains des bailleurs et des gouvernements, afin que les nouvelles connaissances produites servent à orienter efficacement les politiques publiques. Nous comptons sur l’IPAR pour continuer à agiter les idées et provoquer les débats !