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Imbroglio autour de 3123 hectares de terres à ouassadou l’état au banc des accuses

Publié le 29 mai 2015

L’Etat du Sénégal est jugé responsable du litige foncier qui oppose une partie des populations de Ouassadou à la famille Khayat qui a bénéficié de sept titres fonciers en date de 1935. C’est la conviction des deux parties qui ont entamé depuis 2009 un bras de fer matérialisé par une bataille rangée qui a occasionné des blessés graves en 2012. Résultat des courses : quatre villageois sont arrêtés, jugés et condamnés à la suite d’une plainte déposée par Gilbert Khayat, avant d’être provisoirement libérés. Une visite de presse organisée par Action Aid du 20 au 22 mai à l’attention du réseau des journalistes pour la gouvernance foncière (Rejogof) a permis de situer les responsabilités.

L’un des principaux rôles d’un état est d’apporter des solutions à des problèmes mais pas d’en créer. C’est la conviction des populations de Ouassadou dans la région de Tambacounda qui accusent l’Etat du Sénégal d’être entièrement responsable de ce qui les arrive. En effet, un litige foncier portant sur 3123 ha y oppose certains villageois dirigés par Youssoupha Diaw, président du Gie Tilo-Tilo à Gilbert Khayat, représentant la famille Khayat et gérant du Ranch de Ouassadou (RDO).

Au moment où la Commission nationale de réforme foncière poursuit ses consultations avec les acteurs du foncier sur l’étendue du territoire, un scandale foncier oppose les habitants de 14 villages dont Ouassadou à Gilbert Khayat qui, pour exploiter son domaine, leur interdit de cultiver sur les 1354,5 ha de terres, correspondants à 43,37% de son domaine.

CONDAMNÉS À CULTIVER OU À MOURIR

Les populations de Ouassadou et des 13 autres villages, tiennent vaille que vaille à exploiter les terres sur lesquelles elles ont été implantées par décret présidentiel en 1972, lors de l’extension du Parc National du Niokolo Koba.

Par conséquent, elles estiment qu’elles doivent cultiver la terre pour vivre, au cas contraire, elles sont condamnées à mourir. Les populations, aujourd’hui plus de 4200 habitants, soutiennent qu’elles ont été déguerpies et réinstallées par les autorités dans ladite zone où elles exercent depuis lors des activités agricoles. « La principale cause du litige est un Sénégalais d’origine libanaise qui est venu nous dire que nous nous sommes implantés sur son domaine et qu’il a un titre foncier. Or, on ne nous a jamais dit que c’est un titre foncier. Ce que nous avons refusé jusqu’ici. Nous ne pourrons pas le croire tant que nous n’avons pas des preuves palpables », a laissé entendre Youssoupha Diaw, président du Gie Tilo-Tilo. Pour sa part, Bangaly Keita, habitant Ouassadou, a signalé que ce conflit leur rend la vie difficile. « Pour ce problème d’accaparement de terre, nous sommes confrontés à d’énormes difficultés à Ouassadou. Chacun a son champ ici. Mais, je ne peux pas abandonner mon champ pendant cinq ans sans l’utiliser à cause de quelqu’un qui ne l’utilise pas. Nous allons utiliser cet espace pour survivre. Plus de 150 familles sont menacées par Gilbert Khayat. Même nos animaux ont des problèmes pendant l’hivernage, car de l’autre côté, il y a la forêt classée du Ndiambour où vivent des bêtes féroces », soutient le quinquagénaire.

LA RESPONSABILITÉ DE L’ETAT

Macoumba Dia, vice-président du Gie Tilo-Tilo ne dit pas le contraire. « C’est l’Etat, par décret présidentiel qui nous a déguerpis du parc. C’est aussi l’Etat, par un autre décret qui a institué qu’une partie des terres, revient au ministère de l’environnement, et une autre qui est une forêt classée revienne aux Eaux et Forêts. Et tout ceci fait partie des 3123 ha dont Gilbert Khayat se réclame. C’est donc l’Etat qui l’a dépossédé d’un kilomètre de zone tampon avec les forêts classées et les habitations des 14 villages », dit-il. « Tu m’enlèves dans ma maison et tu m’emmènes dans la maison d’autrui, sachant que c’est une maison d’autrui. Mais, nous ne pouvions pas le savoir. C’est de là qu’ils nous ont trompés », déclare Bangaly Keita. Il révèle d’ailleurs au passage que la visite d’une délégation de quelques habitants du village accompagnée du commandant de Gendarmerie Jean Ndiaye au cadastre pour consulter le dossier de Ouassadou avait fait chou blanc. « A l’époque, le dossier de Ouassadou était incomplet. Alors si on nous dit aujourd’hui que la famille de Khayat est munie de ses papiers, nous disons que c’est faux ! Il n’y a rien de concret dans ça. Au Sénégal, on sait qu’avec l’administration rien n’est claire. Et ce problème doit être éclairci car, nous sommes des Sénégalais et nous avons le même droit », poursuit-il.

Avant de renchérir : « ce qui nous a ébahis dans cette affaire, c’est que quand l’Etat déguerpissait les populations du parc, Ibrahima Khayat était là. C’est d’ailleurs lui qui a gradé avec son tracteur toutes ces terres qui ont servi à reloger les déguerpis du parc. Mais en les amenant ici est-ce que l’Etat ne savait pas que c’était un titre foncier ? Et Khayat père n’avait pas agi ».

Mais un déplacement effectué au ranch de Gilbet Khayat, situé dans le domaine en litige a permis de mettre la lumière sur certains aspects du dossier. Pour sa part, Zacharia Sambakhé, chargé du plaidoyer à Action Aid, a évoqué une confrontation de la légalité et de la légitimité. Ce qui nécessite à son avis l’arbitrage de l’Etat pour éviter une catastrophe. Gilbert Khayat qui dispose de documents légaux est dans la légalité alors que les populations vivant sur ces terres qu’elles cultivent depuis plus d’une quarantaine d’années en tirent une certaine légitimité.

LES ARGUMENTS DE KHAYAT

Selon Gilbert Khayat, il est impossible que l’Etat du Sénégal ait eu à réinstaller ces populations sur les titres fonciers de son père car, à son avis il y a pour cela une procédure à respecter, ce qui n’est pas le cas. « L’Etat, s’il respecte sa constitution ne peut pas les installer dans les titres fonciers. Maintenant comment c’est arrivé, moi je ne le sais pas. Ceci dit, si l’Etat avait décidé de nous spolier de nos terres, il y a une procédure qui doit être suivie, c’est-à-dire qu’on avertit les propriétaires en premier lieu, ensuite on engage une procédure de négociation, puis troisièmement, ça passe par un juge des expropriations », explique Gilbert Khayat convaincu qu’il y a quand même « ici suffisamment de place et partout pour ne pas prendre les populations et les installer dans les titres fonciers ». Si bien même qu’il est possible qu’il y ait eu « des erreurs d’appréciation des cadres qui ont fait remonter les informations à leur hiérarchie pour en arriver à la situation actuelle », Gilbert Khayat qui estime que « l’Etat sait ce qu’il fait ». « La propriété, c’est des titres fonciers qui remontent aux années 1935. Il y avait ici une société qui cultivait les sisals pour traiter les fibres et les transformer en cordes. Cette société a fait faillite en 1955 et a déposé le bilan pour être vendue sur appel d’offres international en 1958, et c’est là que mon père a racheté les titres fonciers 217, 218, 219, 221, 222, 223 et 224 dont le bornage a été effectué le 3 mars 1932 par le géomètre Berthon Marcel », rappelle Gilbert Khayat, ingénieur en Génie civil. Selon lui, c’est son père installé à Ouassadou au début des années 60 qui y a introduit la Virginia Bunch Israela 1 et 2, une variété d’arachide de bouche qui sert aujourd’hui à faire les arachides salées et grillées pour les apéritifs, mais qu’on ne trouve plus localement sur place.

PROJET DE POLE DE DÉVELOPPEMENT

« Au plan purement juridique, le titre foncier est une propriété inaliénable et inattaquable », laisse entendre Gilbert Khayat. « Je n’ai pas d’emprunt bancaire pour tous ces investissements. Je n’ai donc ni principal ni intérêt à rembourser. Je le fais avec mes fonds propres, et ça c’est la meilleure preuve que je crois à ce projet, et à son aboutissement en tant que pôle de développement régional », fait-il remarquer. « J’y crois et personne ne pourra m’enlever cela de la tête. Et je vais y arriver. Cela fait six ans qu’on m’empêche d’avancer, mais j’y arriverai. Et toutes les populations vont en bénéficier. J’en suis convaincu », soutient-il. « Il y a énormément de ressortissants de cette région et de Kédougou qui sont vers Dakar. L’objectif est de créer un pôle de production de façon à ce que la jeunesse se maintienne sur place et que ceux qui sont partis reviennent parce qu’on a besoin de personnel », poursuit-il. Et de révéler qu’il s’est rapproché pour cela de structures telles que l’ANIDA et l’Agence Nationale des Eco villages (ANEV).

« Chaque année, j’essaie de cultiver mais on m’empêche de travailler. Le 27 mars 2013, contre toute attente, dans la surface couverte par le pivot, on a été frappé par un arrêté préfectoral nous interdisant de travailler dans nos titres fonciers alors qu’on utilise qu’une infime partie des titres fonciers », regrette-t-il. « Le seul fait de travailler sur ces 40 ha déjà, on me frappe d’interdiction de travailler. J’ai donc déposé un pourvoi en cassation au niveau de la Cour suprême qui a cassé cet arrêté préfectoral », renseigne-t-il tout en dénonçant le fait que « depuis avril 2014 aucune autorité n’est venue parler aux populations pour les informer de la décision de la Cour suprême ». Or, pour lui, il n’y a qu’un groupuscule d’individus qui est prêt à utiliser la machette pour bloquer les tracteurs et se faire entendre. Et ce qui est curieux dans cette affaire, malgré plusieurs plaintes déposées au niveau du tribunal de Tambacounda depuis 2011, dit-il, aucune n’a été traitée. Pire, en 2014, après avoir informé les populations qu’il voulait utiliser 500 hectares, « ce groupuscule est sorti et a cassé deux tracteurs, la gendarmerie est arrivée au moment où il s’apprêtait à mettre le feu sur les tracteurs ».

POUR UN REMEMBREMENT DES POPULATIONS

Gilbert Khayat jure qu’il n’a jamais demandé aux populations de quitter son domaine. « Depuis six ans que nous sommes là, personne ne peut dire à aucun moment que j’ai demandé que les gens quittent les titres fonciers, bien au contraire, je les ai toujours encouragés à venir travailler en partenariat avec nous. Mais, il faut croire qu’il y a des gens qui ne veulent pas que j’évolue et que je grandisse ici dans le cadre d’un grand pole de développement agricole », souligne-t-il. Avant de signaler qu’il a même proposé à l’Etat un remembrement des populations qui se sont installées de manière « anarchique » sur les titres fonciers, au lieu de se rapprocher du village. « Ce que nous avons proposé aux autorités en premier lieu c’est un remembrement des populations. C’est-à-dire qu’on prend une partie des titres fonciers et on recrée une zone de vie de 140 ha dans nos titres fonciers non loin de leur lieu original, mais que l’on puisse développer des surfaces d’irrigation de contresaison », soutient-il pour révéler que ce dossier piloté par le Colonel Nar Diagne Ngom a été proposé par courrier aux autorités régionales, au ministère de l’intérieur, au ministère de l’urbanisme et celui de la décentralisation.

Chérif FAYE | 28/05/2015 | 10H06 GMT
 

Source : http://www.sudonline.sn/l-etat-au-banc-des-accuses_a_24650.html