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Cheikh Oumar BA, directeur exécutif de l’ ipar, sur la réforme foncière « les questions essentielles doivent faire l’objet d’un consensus fort »

Publié le 26 janvier 2016

Le processus de réforme foncière en cours au Sénégal est d’un enjeu capital pour tous les acteurs. Cheikh Oumar Ba, directeur exécutif de l’Initiative Prospective Agricole Rurale (IPAR), dans cette interview qu’il a accordée à Sud Quotidien, estime que les questions essentielles de ladite réforme doivent faire l’objet d’un consensus fort entre les différents acteurs avec, comme vision, faire de la terre un levier de développement qui permettra de nourrir les Sénégalais, de créer des emplois décents. Mais aussi d’assurer un environnement économique favorable aux différents types d’investissements et une sécurisation des droits fonciers des exploitations familiales. Toutefois, Cheikh Oumar Ba a émis des réserves dans ce contexte d’élection qui ne favorise pas une réforme aisée, et a souligné la nécessité d’évaluer le processus dans le contexte de la territorialisation des politiques publiques.


Quels sont les enjeux de la réforme foncière en cours ?

Les principaux enjeux ont trait à la promotion d’une paix sociale durable, la modernisation de l’agriculture familiale tout en tenant compte des spécificités régionales, la garantie de la sécurité alimentaire, la préservation des espaces pastoraux, l’équité sociale pour permettre aux femmes et aux jeunes d’accéder à une terre sécurisée, l’articulation entre les villes et les campagnes, surtout dans un contexte d’Acte III de la décentralisation. A cela s’ajoute un enjeu de développement, car la terre étant la principale ressource des communautés locales est une source de richesses aussi pour l’Etat. Un autre enjeu de la réforme foncière tient à la démarche qui devra être consensuelle, inclusive et participative, en intégrant les points de vue de toutes les parties prenantes au processus de réforme foncière.

L’objectif est d’arriver à un produit dont le portage est assuré par tous les acteurs. L’idée est d’arriver à une forme de gouvernance foncière renouvelée, socialement acceptable, politiquement soutenable, économiquement rentable et écologiquement durable.
Une réforme foncière repose sur la mobilisation des expertises de toute sorte (académique, privée, étatique etc.). Pour jouer notre partition, IPAR avait contribué à alerter, dès l’installation de la première commission avec Me Doudou Ndoye, sur la nécessité de procéder à une réforme en deux étapes : l’élaboration d’une politique foncière consensuelle et sa traduction en loi conformément à l’esprit de la Loi d’Orientation Agro Sylvo Pastorale (LOASP), promulguée en 2004. Cette interpellation faisait suite à la réalisation, en partenariat avec la Banque mondiale, de l’état de la gouvernance foncière (LGAF) au Sénégal dans le processus duquel la plupart des membres du comité technique de l’actuelle commission étaient partie prenante. La plus value apportée par le professeur Sourang a été la conduite de concertations décentralisées qui étaient absentes dans les initiatives précédentes de réforme et la recherche de consensus fort.

Quelles sont les attentes des principaux acteurs comme l’Etat, la société civile, les paysans, les élus locaux et les investisseurs par rapport à la réforme ?
Les acteurs sont divers et les attentes différentes pour ne pas dire quelquefois divergentes en considérant l’Etat, le secteur privé, les organisations paysannes (OP), les élus locaux et les Organisations non gouvernementales (Ong). Il importe que l’on attende la sortie des propositions de la CNRF (Commission nationale de réforme foncière, ndlr) et celles de la société civile en cours d’élaboration pour se prononcer sur les points de convergences, les éléments de divergence et les consensus à trouver dans l’intérêt exclusif du Sénégal.
En attendant, grossièrement, le secteur privé prône pour une rupture d’avec le système juridique de gouvernance foncière qui a prévalu jusque-là. Ce dernier n’a pas permis de mobiliser les terres dans une perspective de développement économique. Il plaide pour aller vers une offre foncière plus ambitieuse et qui pourrait permettre un saut qualitatif en intégrant les émissions de droits réels plus sécurisants. Les communautés, elles, plaident pour la reconnaissance de leurs droits acquis sur les terres qui constituent leurs principaux moyens de vie et de survie. Quant à la société civile, elle se positionne comme une force d’interpellation citoyenne qui œuvre pour que la réforme foncière soit respectueuse des droits des communautés à disposer des terres « héritées » de leurs ancêtres.
Les efforts du gouvernement en matière d’infrastructures et les différents investissements privés qui convoitent des terres à usage agricole et pastoral, nécessitent des compensations des usagers du foncier à la hauteur des pertes. Ces compensations peuvent être en nature ou en espèce, mais nécessitent, au préalable, une harmonisation des différentes interventions, des normes et des barèmes en la matière pour assurer une équité entre les différents usagers ayant subi des pertes de terres.
En résumé, si la société civile se bat pour une réforme garantissant une sécurisation des droits fonciers des exploitations familiales de même que l’accroissement de la productivité et la viabilité économique de ces dernières, l’Etat, à travers le PSE semble envisager une libéralisation des terres et une complémentarité entre investissement privé et agriculture familiale pour le développement économique du pays. Au regard de cette diversité des positions et propositions formulées ou implicites, l’Etat est attendu dans son rôle régalien de régulateur et d’arbitre des jeux d’intérêts politique et économique, mais également en tant que garant de l’intérêt public.

Quels sont les pièges à éviter dans la nouvelle réforme ?
Une réforme qui détermine l’avenir des acteurs présents et des générations futures doit éviter toute forme de précipitation. Elle exige un temps conséquent, mais ne saurait s’éterniser, Ad vitam æternam. Elle doit s’inscrire dans le temps dont l’horizon temporel est fixé, c’est-à-dire le temps de la concertation, celui de la mise en œuvre et celui de l’évaluation-replanification. L’autre piège à éviter est de tomber dans les travers de l’Etat développementaliste qui donne tête aux investissements massifs dans la terre sans au préalable s’assurer du maintien de la paix sociale, sans laquelle tous les efforts de développement sont mis en échec.
Une réforme ne signifie pas l’unanimité, qui n’est pas source de dynamisme, mais la recherche de consensus forts basés sur les priorités sur lesquelles l’on doit s’accorder. Toutefois, des questions essentielles doivent faire l’objet d’un consensus fort entre les différents acteurs, tout en ayant comme repère une vision basée sur la nécessité de nourrir les Sénégalais, de créer des emplois décents, d’assurer un environnement économique favorable à l’investissement public et privé, de gérer l’environnement dans la durabilité et d’assurer les liens entre ville et campagne. Deux défis majeurs restent à prendre en compte : d’abord, réformer dans un contexte d’élection n’est pas chose aisée, et, ensuite, disposer d’une politique foncière et d’une loi est une chose, mais une autre serait de la mettre en œuvre en instituant un observatoire qui permettra d’apprécier régulièrement les avancées et les corrections à apporter dans un contexte de territorialisation des politiques publiques.

Réalisé par Cherif Faye : Sud quotidien